Kouider Boutaleb, spécialiste de l'économie nationale, souligne, dans cet entretien, que si des mesures courageuses ne sont pas prises très rapidement par le gouvernement, il faudra s'attendre au pire. Liberté : La tripartite (gouvernement, UGTA et patronat) se tient aujourd'hui à Annaba. Que faut-il en attendre réellement, selon vous ? Kouider Boutaleb : Le dialogue social est nécessaire, c'est la forme moderne, sans doute la plus élaborée pour impliquer tous les opérateurs socioéconomiques dans des programmes d'action, établis de manière consensuelle. Le problème est que, dans le contexte qui est le notre, dans le cadre du mode de fonctionnement du système socioéconomique qui perdure à ce jour, totalement dominé par le pouvoir politique en place et l'Exécutif qui en émane (absence quasi-totale de contrepouvoirs), on continue à faire semblant de discuter et de faire avaliser des démarches par des partenaires représentant les travailleurs et des employeurs (UGTA et FCE en l'occurrence) totalement inféodés au pouvoir. De ce fait, au-delà des discours, les tripartites (il s'agit en l'occurrence de la 20e qui va se tenir aujourd'hui à Annaba) qui se succèdent et se ressemblent ne peuvent déboucher sur des remises en cause radicales des démarches stériles qui n'ont guère abouti à initier les changements de cap attendus. On peut, en effet, s'interroger sur ce qui a été réalisé, sur la concrétisation des engagements des tripartites précédentes (le pacte de croissance économique et social, élaboré à la faveur de la tripartite de 2014 à titre d'exemple...). Les diagnostics sur les actions et les engagements passés ne sont guère présentés, les évaluations des politiques publiques ne sont guère de mise. Par conséquent, on ne peut s'attendre à des démarches novatrices, fécondes
Ne pensez-vous pas que la mise en œuvre des réformes de l'économie nationale constitue un sérieux problème aujourd'hui et que sa solution nécessite bien plus qu'une tripartite ? Certainement, et nous n'avons de cesse de le souligner avec force comme tous les observateurs attentifs de l'économie algérienne. La construction d'une économie efficiente, en terme d'emplois et de valeur ajoutée, est une entreprise de longue haleine qui nécessite des réformes de fond pour asseoir les ressorts d'une croissance aux sources diversifiées. Espérons que les élites au pouvoir pourront entreprendre une révision de leur conception du pouvoir en considérant l'intérêt supérieur du pays et procéder aux réformes indispensables au fonctionnement efficient d'une économie productrice de richesses, à l'instar de tous les pays qui ont pu édifier des économie prospères à l'exemple de la Turquie, de la Malaisie et de bien d'autres dont il faudrait sans doute méditer les expériences. Quelle approche adopter pour sortir l'économie de son marasme ? Le problème ne se pose pas en termes "que faut -il faire ?", mais "comment et qui peut assurer la mise en œuvre effective des réformes ?" Le problème n'est donc pas dans le constat, les objectifs, ni même dans les solutions, tout cela à été dit et redit depuis des années. Comment y arriver reste à définir, mais on sait ce qu'il y a à faire. Beaucoup de propositions ont été faites. Des recommandations qui se recoupent au-delà des positions idéologiques des uns et des autres ont été formulées autant par les organisations internationales (Banque mondiale et FMI en l'occurrence) que par des experts algériens, par le collectif Nabni). Mais les pouvoirs publics se contentent de démarches timides, qui s'assimilent à des saupoudrages, des soins cosmétiques apportés à un corps malade qu'on maintient en survie. Jusqu'à quand ? Certes, il faut considérer les dangers de déstabilisation à court terme qui guettent la pays, mais il faudrait aussi considérer le moyen et le long terme où le vrai danger réside dans l'incapacité de l'économie nationale à créer des emplois en nombre et des produits pour satisfaire la demande nationale (les importations n'étant plus de mise faute de pouvoir les financer). Comme nous l'avons déjà exprimé dans un passé récent, si des mesures courageuses ne sont pas prises très rapidement pour assainir l'économie nationale et asseoir à terme les ressorts d'équilibres macrofinanciers hors fiscalité pétrolière, il faudra s'attendre au pire. Pour s'en écarter, il faudrait éviter l'improvisation et convenir collectivement d'ouvrir les grands chantiers de réformes sur la base du diagnostic sans complaisance du fonctionnement de l'économie algérienne (les éléments de ce diagnostic sont connus, il faudrait avoir l'humilité au niveau des instances du pouvoir de reconnaître la nécessité du changement du mode de fonctionnement du système socioéconomique actuel). La période d'incubation des réformes peut être plus ou moins longue, mais la rupture avec l'économie de rente se réalisera. (*) Chercheur au Cread Entretien réalisé par Youcef Salami