Dans un entretien accordé à Liberté, celui qui a présidé la Commission/personname / nationale de la réforme de la justice constate, cinq ans après avoir remis son rapport au président de la République/personname /, que des forces s'opposent à la mise en œuvre des recommandations de la commission. Liberté : Le ministère de la Justice organise lundi et mardi prochains une conférence nationale évaluative des reformes menées jusque-là, conformément à vos conclusions. Quel est votre propre bilan des actions engagées ? Me Mohand Issaâd : Vous savez, on ne peut pas changer les choses d'un coup de baguette magique. A priori, personne n'est hostile à la reforme de la justice, mais il y a des pesanteurs datant d'une quarantaine d'années qui font qu'on ne peut pas modifier les lois sans changer les hommes. Ce n'est pas facile dans un secteur comptant un peu plus de 4 000 fonctionnaires. Il y a des résistances à la reforme, comme ailleurs dans l'administration, les douanes ou le fisc. Donc, selon vous, le changement attendu n'est toujours pas pour demain... En tant que professionnel, je ne ressens pas les résultats de la réforme sur le terrain. Le processus est très lent. Ce n'est pas la première fois qu'on modifie les lois, mais les vieilles pratiques perdurent. La persistance dans la mise systématique sous mandat de dépôt en est la preuve. Du côté de la chancellerie, cette pratique est pourtant justifiée par l'indépendance des juges. Qu'en pensez-vous ? Un tel raisonnement est inadmissible. Certes, le juge doit être indépendant dans le traitement des affaires dont il a la charge. Ce qui n'est pas le cas du parquetier. Celui-ci représente le ministère de la justice et veille à l'intérêt général. Il dépend donc de l'Etat qui peut interférer dans sa décision. À ce titre, il peut faire appel du mandat de dépôt et plaider son refus devant la chambre d'accusation. Ce que je n'accepte pas est qu'on mette quelqu'un en prison pour ensuite ordonner une expertise. Le département de la justice fait valoir une grande célérité dans la prise en charge des dossiers et l'application des décisions des juges. Or, le problème réside, selon vous, dans la qualité des jugements rendus. Effectivement, la qualité de la justice est contestable. En matière pénale, les peines sont trop lourdes, la détention préventive abusive et le recours aux mandats d'arrêt exagéré. Dans le civil, ce n'est guère plus brillant. Il faut parvenir à une justice de qualité, mettre les jugements rendus en conformité avec les conventions internationales. Jusqu'à maintenant, il n'y a pas encore de jugements qui tiennent compte des clauses de ces accords. À votre avis, cette défaillance est due à quoi ? La formation des magistrats est-elle en cause ? En partie oui. Il faut que les magistrats soient formés. Ils doivent acquérir une grande technicité. Pour cela, il faut mettre des moyens à leur disposition, des locaux, de la documentation, régler leurs problèmes matériels… Ils doivent en outre avoir du temps libre pour se former. Dans cette perspective, le ministère s'engage à former 300 magistrats par an. L'augmentation du nombre des effectifs devra contribuer à l'amélioration de la qualité de la justice. N'est-ce pas ? Bien entendu. La quantité va donner la qualité. Un juge qui a 16 affaires à traiter rendra des décisions plus justes qu'un autre ayant à sa charge une cinquantaine de dossiers. S. L.