Pour le chef de l'Etat, ces établissements doivent dispenser leur enseignement en arabe, sous peine de fermeture. “Ou l'éducation nationale prend des mesures, ou je reviendrai à la situation antérieure. Il n'y aura pas de réformes. Je ne ferai pas des réformes au détriment de l'identité algérienne et de la langue arabe. (…) Nous avons perdu la langue arabe pendant 132 ans et avons consenti beaucoup de sacrifices pour la récupérer. Aujourd'hui, il est tout à fait clair que je n'ai pas l'intention de jouer avec ça !” Les cibles de ce coup de gueule du chef de l'état ne sont autres que les écoles privées, accusées d'antinationalisme, et, dans une moindre mesure, le ministère de l'éducation qui, à ses yeux, ne fait pas grand-chose pour refréner leurs “errements francisants”. Jusqu'à hier, Abdelaziz Bouteflika ne s'est jamais engagé publiquement dans la polémique sur les établissements d'enseignement privés. Cette controverse, datant d'une année, mettait notamment aux prises les principaux protagonistes, le département de Boubekeur Benbouzid, qui a concocté un cahier des charges très contraignant, et les gestionnaires de ces écoles, habitués depuis plus d'une décennie à appliquer leur propre politique éducative, souvent en nette opposition avec la politique du gouvernement, tant dans les programmes que dans la langue d'enseignement. Il y a une semaine pourtant, le ministre de l'éducation assouplissait sa position. Non seulement, il a prorogé le délai accordé aux établissements privés pour se conformer au décret ministériel du printemps dernier, fixant les conditions de leur ouverture, mais il les a également autorisés à dispenser l'enseignement des matières scientifiques en langue étrangère, notamment dans le secondaire. Ce qui n'est pas pour plaire au président de la République qui, de son côté, ne tolère aucune concession. “Il est tout à fait clair que toute institution privée, qui ne tient pas compte du fait que l'arabe est la langue nationale et officielle et qui ne lui accorde pas une priorité absolue, est appelée à disparaître”, a-t-il asséné. De toute évidence, le chef de l'état a longtemps laissé monter sa colère. L'occasion lui a été donnée ce dimanche matin de l'exprimer au détour d'un stand consacré à la réforme de l'enseignement secondaire qu'il visitait dans le hall du Palais des nations. C'est dans ce lieu qu'il a présidé quelques minutes plus tôt à l'ouverture de la seconde conférence de ministres africains de l'éducation. Autant ses critiques sur les ratés du continent, en matière d'instruction, se voulaient accortes, autant ses semonces devant ses propres cadres étaient sans ambages. “Je suis pour l'enseignement des langues étrangères, à partir de la première année. C'est un objectif à moyen terme. Mais cela ne signifie pas la disparition de l'arabe ou son affaiblissement”, s'est écrié le président, répliquant à un exposé d'un collaborateur de M. Benbouzid sur le progrès accompli dans la réhabilitation des langues étrangères. Logeant les établissements d'enseignement public et privé à la même enseigne, il les contraint à une conduite identique. “Celles qui ne se conformeront pas à la loi et au programme de l'état, nous n'hésiterons pas à leur retirer l'agrément”, préviendra M. Bouteflika, plus menaçant. à cet égard, le ministère de l'éducation doit, selon lui, faire preuve d'une grande “vigilance” et “prendre les dispositions adéquates”. “Il est inconcevable que des enfants de cinq et six ans ne parlent pas l'arabe”, s'indignera le chef de l'état au cours d'une autre halte devant un stand sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication, halte durant laquelle il rééditera son avertissement aux contrevenants. Face aux ministres de l'éducation africains, M. Bouteflika se contentera d'un constat sans complaisance. “L'Afrique est confrontée à des problèmes inextricables, dont l'analphabétisme et la faiblesse du taux de scolarisation”, a-t-il rappelé. La guerre et les maladies sont de si dures calamités qu'elles relèguent l'éducation au second plan. Cette vérité amère assénée par M. Bouteflika renvoie à une nécessaire prise de conscience : en Afrique, l'école est l'unique bouée de sauvetage. Il conviendra ensuite de définir ses missions. Si le rôle du système éducatif consiste à “produire des citoyens responsables”, il est impératif, selon le chef de l'état, de “soustraire l'école des influences religieuses et idéologiques et de la manipulation politique”. Il est tout aussi nécessaire, a-t-il estimé, de “gagner le défi de la qualité”. “En Algérie aussi, nous sommes confrontés à ce problème. Nous devons choisir entre la démocratisation de l'enseignement et la qualité. Or, nous manquons d'enseignants”, reconnaît le chef de l'état. Notre pays souffre également de l'insuffisance des compétences. M. Bouteflika l'admet. Il lie ce déficit à la fuite des cerveaux. “Nous devons parler de ce problème. Nous octroyons des bourses faramineuses à des délégations estudiantines qui ne reviennent jamais”, déplore le président. “Cette situation n'augure rien de bon”, persiste-t-il. à la fin de son discours, l'hôte du palais des nations a exhorté ses visiteurs d'Afrique à mener une réflexion sérieuse pour “produire le saut qualitatif” attendu dans le secteur de l'éducation. Un effort qui est susceptible d'attirer l'attention des grands de ce monde, dont le groupe des huit états les plus riches de la planète que les représentants du Nepad (la Nouvelle initiative pour le développement de l'Afrique) auront à rencontrer en écosse en juillet prochain. D'ici là, la conférence d'Alger aura à sérier les besoins du continent. Ils figureront au menu des recommandations qui seront adoptées aujourd'hui. La cérémonie de clôture de la conférence sera présidée par le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia. Ils réagissent M. Boubekeur Khaldi, secrétaire général du ministère de l'Education : “Le président de la République vient de dire ce qu'on a toujours défendu. Il est nécessaire que ces écoles se conforment à la loi.” M. Bachir Hadj Dallalou, président de la Fédération nationale des associations des parents d'élèves (Fnape) : “Il faut considérer l'école privée comme un complément du secteur étatique. C'est ce qui a été décidé par la commission de réforme du système éducatif et les dispositions prises par le gouvernement. Les écoles privées sont régies par un cahier des charges. Le programme dispensé dans les établissements étatiques doit être appliqué dans les écoles privées. La langue d'enseignement doit aussi être la même car les examens et les diplômes sont unifiés. En outre, la Constitution et les dispositions de la commission de réforme font de l'arabe la langue d'enseignement. Cela dit, au sein de la Fnape, nous sommes des partisans de l'ouverture sur les langues étrangères. Nos enfants doivent maîtriser toutes les langues. Ce qui nous intéresse le plus, c'est la qualité de l'enseignement prodigué et la nécessité de mettre des garde-fous pour éviter les dérives.” M. Tahar Hadjar, recteur de l'Université d'Alger et ancien vice-président de la commission de la réforme de l'école : “Je suis tout à fait d'accord avec le président de la République. Les écoles privées doivent se conformer aux lois de la République. Il y a un minimum de choses à respecter, dont l'usage de l'arabe comme langue d'enseignement. Il faut savoir que l'école a pour mission de donner un socle commun de connaissances à tous les citoyens. Et cela doit se faire en arabe. Sinon, les victimes sont les enfants. Où iront-ils passer leurs examens, à l'étranger ?” Un cadre de l'éducation, ancienne experte de la commission de réforme : “Au sein de la commission, nous n'avons jamais dit qu'il faudra apprendre les langues étrangères au détriment de la langue arabe. Nous avons préconisé le renforcement de son enseignement, notamment dans le préscolaire ainsi que l'enrichissement du patrimoine linguistique des élèves grâce à l'apprentissage de langues étrangères. Il n'est pas question de faire de nos enfants des monolingues, dans un sens comme dans l'autre. Dans tous les pays du monde, les programmes sont nationaux. Je ne veux pas que nos enfants soient des Français.“ S. L.