Célébrée chaque année depuis 1994, en vertu de l'organisation de l'Unesco, la Journée mondiale de l'enseignant coïncide avec ce jeudi 5 octobre. Cependant, cette journée internationale, ayant pour but de sensibiliser l'importance du rôle de l'enseignant dans le système éducatif et, plus important encore, dans la société, s'avère être des moins connues et reconnues en Algérie. Dans un pays où le droit de l'éducation est garanti par la Constitution, le domaine de l'enseignement, que ce soit celui de l'Education nationale (assurant le niveau primaire, moyen et secondaire) ou encore celui de l'Enseignement supérieur et de la recherche scientifique (assurant l'enseignement universitaire en grande partie), rencontre de multiples entraves, et ce malgré les tentatives de réformes. Problématiques Entre problèmes de logements, d'affectations, de déficit du personnel pédagogique et du manque de formation, l'enseignant algérien d'aujourd'hui peine à prospérer. D'autres pédagogues se voient même agressés par leurs propres disciples, ou sont même assassinés à coups d'arme blanche, tel le professeur Karoui Bachir Serhan, à Tipaza en juin dernier. Pourtant, le système éducatif algérien s'avère être sujet à de nombreux rétablissements : transition du système classique à celui du « LMD » (Enseignement supérieur), réformes de la Ministre de l'Education nationale, Mme Nouria Benghabrit, notamment par ses révisions des programmes pédagogiques et des manuels scolaires qui ont soulevé, à maintes reprises, des tollés. Or cette perspective de rénovation s'avère être en proie à de pénibles entraves, parmi lesquelles la crise financière du pays (qui fait avorter tant de projets de construction d'écoles, à titre d'exemple) et aussi le problème de surcharge, ce qui restreint l'accès, digne des moindres droits, à l'éducation, d'une part, et obstrue la formation et le développement de l'instituteur dans son milieu, d'autre part. Cette rentrée scolaire, ayant vu l'avènement de 9 millions d'élèves, fut l'une des plus fâcheuses. Le palier de l'Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, quant à lui, comprend, selon les déclarations du Ministre Tahar Hadjar, pas moins d'un million et demi d'étudiants, légués aux quelques cinquantaines de milliers d'enseignants universitaires. Insécurité et dérapage Il était enseignant à la faculté de droit à l'Université Djilali Bounaama de Khemis Meliana, dans la wilaya d'Aïn Defla. Son corps sans vie fut retrouvé à plus de 100 km au nord, dans la ville de Tipaza, la nuit du dimanche 18 juin 2017. L'enseignant Karoui Bachir Serhan, âgé de 44 ans, succombe aux coups d'« objet métallique pointu » qu'il reçoit sur la tête, avant d'être retrouvé à la cité 122 logements de la ville de Tipaza. Bien que l'université algérienne s'est disculpée d'une telle atrocité, les deux jeunes arrêtés pour le meurtre étaient des étudiants et, selon certains médias, notamment El Bilad, ils étudiaient chez le professeur Karoui à la faculté de droit. D'aucuns ont même fait allusion à « une affaire de mœurs »... Son confrère Fodil Boumala s'indigne alors de la situation : « l'université n'échappe à la poigne de la police que pour devenir la proie du marteau des étudiants baltaguis. » Si tout un système est mis en cause et en question par les universitaires parmi tant d'autres, cela laisse savoir que Karoui n'est tout de même pas le seul à avoir subi un tel sort. En octobre 2008, un autre professeur, enseignant à l'Université de Mostaganem, a été assassiné d'une quarantaine de coups de couteau par « un étudiant mécontent de le voir lui refuser des points supplémentaires ». Ou encore un autre, en février 2014, qui fut évacué en urgence, après être grièvement blessé de coups de couteau dans sa propre chambre à la cité universitaire Attar-Belabbès de Sidi Bel-Abbès. D'autres, Yekhlef Djamila et Hamid Rabah, enseignants à l'Université Akli Mohand Oulhadj de Bouira, ont été agressés en décembre 2016 par le même étudiant sans que celui-ci soit interpellé. Ou encore, le scandale le plus flagrant de février dernier, lors duquel plus d'un professeur ont été agressés à l'arme blanche lors de l'installation d'un bureau du CNES (Conseil national des enseignants du supérieur) à l'Université d'Alger 3. Logements de fonction et affectations Dans un pays où l'on consacre une large partie des revenus à l'immobilier et aux logements, il arrive que l'on manque de cours, voire on ferme tout un établissement par colère, pour la piteuse raison qu'un enseignant, en proie à des affectations « anarchiques », ne dispose pas de logement de fonction et doit faire des dizaines de kilomètres pour rejoindre ses élèves. Malgré les mesures promises par les autorités, des projets de construction de logements demeurent en état d'ébauche depuis des années. À titre illustratif, celui de Constantine qui, au profit de l'Université des Frères Mentouri, n'a vu l'achèvement que de 40% des travaux, depuis 2015, malgré le lancement du projet en 2012. Ainsi, seuls 180 logements sur 460 ont été attribués. Un chiffre toutefois peu satisfaisant, sachant que le nombre initial des demandes était de 720. Il se trouve aussi, ironiquement, que l'enseignant même se met des bâtons dans les roues. Il s'agit cette fois-ci de ceux qui, malgré la mise en retraite, occupent délibérément leurs logements de fonction. D'où une autre facette à cette problématique. Les nouveaux engagés, habitant loin de leur lieu de profession, exige le départ des anciens qui suscitent leur colère et même celle des parents de leurs élèves. À Tizi Ouzou, dans la commune de Timizart Loughvar, deux établissements ont été pour cette raison fermés, au tout début de cette rentrée scolaire par les parents d'élèves. En colère contre les « retards répétitifs » de leurs nouveaux enseignants, ils exigent le départ des retraités des logements de fonction, faisant appel aux autorités locales, notamment la direction de l'éducation. Celle-ci fait alors face au dilemme de ne pas pouvoir « faire sortir un enseignant qui a donné de son mieux durant de longues années pour l'épanouissement du secteur de l'éducation », d'une part, et de ne pas risquer l'avenir de ces élèves qui n'ont pas eu de rentrée scolaire digne de ce nom, d'autre part. Nombreux des nouveaux enseignants se voient alors contraints de faire des dizaines de kilomètres chaque matin pour se présenter à leur lieu de travail. Un travail qui, faut-il le souligner, exige souvent leur présence à 8 heures précises du matin. Surcharge, déficit du personnel et manque de formation Après le départ en retraite de plus de 50 000 enseignants lors de cette dernière saison, le déficit du personnel pédagogique s'avère être le plus nuisible, d'autant plus que le gouvernement a de plus en plus mal à assurer les salaires, à recruter, mais surtout, à fournir une formation de qualité aux nouveaux engagés. Le déficit des enseignants donne plus d'ampleur ainsi à la surcharge des classes, phénomène exclusif de cette rentrée. Tant d'établissements font alors preuve d'improvisation aussi provisoire que lacunaire, d'où, par exemple, celle de l'Université Chadli Bendjedid d'El Tarf qui transforme sa bibliothèque en salle de cours ! Des syndicats appellent alors à recourir « en urgence » à la liste d'attente, tant pour le palier universitaire que pour le scolaire. Pour d'autres, cependant, cette solution serait loin de couvrir toutes les matières. Les nouveaux enseignants, engagés d'emblée, se trouvent ainsi au confluent de deux problèmes : une formation hâtive et de qualité médiocre ; et le problème persistant de surcharge. Lors d'une rencontre avec la Ministre de l'Education nationale, en debut septembre, des syndicats ont souhaité faire part de solutions à ces problèmes qui entravent le secteur scolaire, notamment ceux de la formation des nouveaux enseignants. « On a proposé à la ministre de réduire leur volume horaire de 18 heures à 14 heures afin qu'ils puissent consacrer ces quatre heures à la formation continue des enseignants avec l'inspecteur de la matière, » avait précisé Meziane Meriane, le président du SNAPEST, en marge de cette rencontre, tout en précisant l'importance de la formation psychopédagogique. De sa part, le Ministre de l'Enseignement supérieur, Tahar Hadjar, avait sollicité, lors d'une conférence avec les représentants de différents syndicats tenue jeudi dernier, le « dialogue constructif » avec les organisations estudiantines, tout en annonçant l'interdiction des activités de CNES, un syndicat d'enseignants. « Ils sont en proie à des conflits internes qui sont au niveau de la justice, de ce fait il nous est impossible de travailler avec eux jusqu'à ce que leur situation soit en règle, » avait-il déclaré. Lui qui fait, par lui seul, le socle de tout un Etat, toute une société et toute une génération... qu'en est-il alors de cet enseignant algérien qui peine à l'être en cette Journée mondiale qui lui est consacrée ? Youcef Oussama Bounab Rédaction Digitale de « Liberté » (#RDL)