Ces chamailleries étalées sur la place publique desservent plus qu'elles ne servent les causes de leurs auteurs. Le samedi 7 octobre, trois personnalités nationales, Ali Yahia Abdenour, Rachid Benyellès et Ahmed Taleb Ibrahimi, signent une déclaration par laquelle ils appellent à la constitution d'un "front commun" contre un 5e mandat d'affilée pour le président Bouteflika et, au-delà, créer un rapport de force favorable pour une transition démocratique. "(...) Pour nous faire entendre et faire barrage à ceux qui ont confisqué notre destin depuis près de vingt-ans, nous devons parler d'une seule voix et nous mobiliser derrière ceux des partis d'opposition qui s'engageront à respecter un programme d'action commun visant l'instauration de la démocratie, l'application de la justice sociale et le respect des libertés publiques et individuelles. Nous n'insisterons jamais assez sur le fait que seul un front commun est en mesure de peser sur la situation pour changer le rapport de force, et favoriser l'avènement d'hommes et de femmes de qualité." Les signataires de l'appel sollicitent, par la même occasion, l'Armée nationale populaire (ANP) d'"accompagner le changement" et de "se démarquer de manière convaincante du groupe qui s'est emparé indument du pouvoir et entend le conserver". La proposition politique d'Ali Yahia Abdenour et de ses amis a, bizarrement, manqué de susciter la réaction du pouvoir dont les affidés ont pourtant pour habitude de dégainer de manière prompte lorsqu'une perspective remettant en cause leur règne est formulée. Une initiative similaire étrennée, trois semaines auparavant, par Noureddine Boukrouh a donné lieu, elle, à une véritable levée de boucliers, mettant de la partie la grande muette. Brocardé, Boukrouh devait se réjouir que sa proposition a rencontré un écho favorable auprès de personnalités nationales d'autant que son adresse avait vocation de susciter l'adhésion et la plus large si possible. Or, à la surprise générale, il s'est fendu d'une estocade assez virulente à l'encontre des trois personnalités qui, disons, ont ramé dans le même sens que lui. Peut-être a-t-il quelques raisons de le faire ? Dans sa réaction, il laisse entendre que l'initiative des trois vise à torpiller la sienne propre. "(...) Lorsque je l'ai fait, mon initiative a été accueillie dans un silence religieux par les acteurs politiques, et ce n'est pas en agissant de la manière mesquine dont vient de le faire le trio qu'on y concourt. Cela équivaut à porter un coup au front opposé au 5e mandat avant qu'il ne se constitue, et à s'installer en allié objectif de l'adversaire." Voilà, le mot est dit : Boukrouh ne perçoit pas la sortie des "trois" comme un renforcement de son initiative, mais comme une manœuvre de sabordage. À l'évidence, même si elles se projettent dans une même finalité : mettre un terme au magistère de Bouteflika, les deux initiatives n'obéissent pas à un même agenda. L'assertion est d'autant plus vraie que Boukrouh et les trois personnalités signataires de la déclaration, objet de polémique, n'apprécient pas de la même manière le rôle que les partis doivent jouer dans cette transition politique réclamée. Si Ali Yahia Abdenour, Rachid Benyellès et Ahmed Taleb Ibrahimi estiment qu'il faut se "mobiliser derrière des partis d'opposition" engagés sur la voie du changement préconisé, Noureddine Boukrouh, dans sa proposition du 16 septembre dernier, veut tenir sa proposition éloignée des partis politiques qu'il condamne, d'ailleurs, à ne plus jamais s'unir. Serait-ce seulement cette divergence d'approche qui a incité Boukrouh à réagir de la sorte à la déclaration des "trois" ? Y aurait-il d'autres motifs que ni l'un et encore moins les autres n'ont pas dévoilé à l'opinion ? Aucune grille de lecture n'est à exclure, y compris celle qui mettrait tout cela sur le compte des ego. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que ces chamailleries étalées sur la place publique desservent plus qu'elles ne servent les causes de leurs auteurs. En effet, comment prétendre à la construction d'une "union nationale" ou d'"un front commun" lorsque l'opinion est prise à témoin de ce genre de polémique ? Sofiane Aït Iflis