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"Nous n'avons pas reçu de demande pour la restitution des crânes des Algériens" Michel Guiraud, directeur des collections au MusEum d'Histoire Naturelle de Paris
Ce responsable affirme qu'un mur juridique empêche, de toute façon, le rapatriement de ces ossements et qu'il faut une loi pour le déclasser. Liberté : Combien d'ossements appartenant à des Algériens sont conservés au Muséum d'histoire naturelle ? Michel Guiraud : Nous disposons de 34 crânes identifiés. Parmi eux, six appartiennent à des combattants qui se sont opposés à la conquête française et à la prise des Zaâtchas. D'autres sont des supplétifs de l'armée française. Il y a aussi des individus sur lesquels nous n'avons pas d'informations précises. Quel est l'intérêt du muséum de conserver ces ossements encore aujourd'hui ? Comme toutes les autres collections naturalistes, ces ossements nous permettent d'avoir des points de repère dans le passé. C'est en étudiant les restes humains qu'on peut retracer l‘histoire de l'immigration, du peuplement humain... L'évolution constante des moyens de recherche comme l'ADN, nous permettent encore de les réinterroger pour avoir plus d'informations. Mais les crânes des résistants des Zaâtchas ne sont pas des restes humains comme les autres. Les circonstances dans lesquelles les combattants ont été tués sont en effet abominables. Elles relatent une véritable curée. Leurs têtes ont été coupées pour servir de trophées de guerre et terroriser la population. Elles ont été ensuite récupérées par un médecin (lire article ci-dessous). Et sur ce point, il faut se remettre dans le contexte d'une époque où on cherchait à collecter tous les éléments sur la diversité humaine. Les crânes étaient de ce point de vue des éléments d'étude scientifique qui rejoindront, à ce titre-là, les collections anthropologiques publiques du muséum ou l'on compte 18 000 crânes en tout. Ces crânes ont par ailleurs le statut de biens culturels inaliénables. Il est donc impossible de les restituer. Si l'on comprend bien. Ces crânes ne seront donc jamais rendus à l'Algérie ? Dans l'état actuel du droit, ces crânes ne peuvent pas être déclassés. Le dispositif règlementaire ne permet pas de mettre en place une commission de déclassement. Il s'agit de dons versés au patrimoine public. Un précédent existe pourtant avec les têtes momifiées des combattants Maoris. Elles étaient considérées aussi comme un bien public mais ont fini par être rendues à la Nouvelle-Zélande qui les a réclamées. La Nouvelle-Zélande a effectivement obtenu le retour des têtes Maoris sur son territoire. Mais il faut savoir que le processus a été long et difficile. Le gouvernement néo-zélandais s'est d'abord adressé au musée de Rouen où se trouvait une tête Maori. Mais le ministère de la Culture qui a saisi le tribunal avait bloqué le transfert, sur la base des textes réglementaires interdisant le déclassement de la dépouille. L'affaire a finalement trouvé un dénouement grâce à l'intervention de la sénatrice Catherine Morin-Dessailly qui a convaincu ses collègues parlementaires de voter une loi spécifique qui autorise la sortie des têtes Maori des collections publiques. La restitution des crânes des résistants algériens dépend elle aussi alors d'une décision politique. Il faudrait en effet qu'il y ait une autre loi spécifique votée par le Parlement pour faire sauter le verrou juridique et déclasser les crânes. Mais à ma connaissance, il n'y a pour l'instant aucune demande formulée par l'Etat algérien pour la restitution des crânes. La direction du Muséum en tout cas n'a pas été saisie. La seule chose dont nous avons connaissance est une pétition signée par environ 30 000 personnes. Je crois que le gouvernement algérien, après avoir fait ses recherches sur cette affaire, s'est rendu compte qu'il est face à une difficulté juridique ayant trait à l'inaliénabilité des collections publiques. De ce point de vue-là, la loi algérienne protège aussi les biens culturels. Oui, mais pour les Algériens, la présence des cranes de résistants décapités dans un musée français a une toute autre signification. Pour eux, il ne s'agit pas de biens culturels ou d'objets scientifiques mais de morts illustres qui doivent avoir une sépulture. Oui. Mais cela est un problème algérien. Pour notre part, nous obéissons à une règlementation qui empêche dans le cas présent de déclasser ces ossements. Ceux-ci font partie d'une large collection qui comprend des crânes d'inconnus et de personnalités comme Descartes. Je comprends que d'un point de vue historique, ces restes mortuaires sont très importants. C'est sur le plan diplomatique, je crois que cette question pourrait être traitée. Il faudrait dans ce cas préparer le terrain au niveau juridique. Quelle sont été les répercussions de toute cette affaire sur le Muséum ? Nous recevons beaucoup de demandes de particuliers qui souhaitent savoir si parmi les ossements, certains appartiennent à leurs ancêtres et nous y répondons sur la base des informations à notre disposition. En revanche, il y a des informations erronées qui ont circulé sur les conditions de conservation des crânes. On a dit qu'ils sont entreposés dans des boîtes de chaussures. Ce qui n'est pas le cas. Ces ossements sont traités avec respect. Ils sont conservés dans de très bonnes conditions. Depuis le lancement de la polémique, nous les avons transférés dans un coffre avec les restes humains les plus précieux. Entretien réalisé par : Samia Lokmane-Khelil