"Le dictionnaire amoureux de l'Afrique" est avant tout un magistral ouvrage politique et historique de l'auteur Hervé Bourges, témoin privilégié et engagé de l'évolution d'une Afrique à laquelle il a consacré une large part de sa vie et qu'il défend avec passion. Le dictionnaire amoureux de l'Afrique nous convie à un passionnant voyage qui débute avec l'inattendu article "Abacost", abréviation désignant la veste de coton léger à manches courtes imposée au Zaïre de 1972 à 1990 par Mobutu, qui tenait le costume et la cravate pour des symboles de la culture coloniale, et s'achève par un vibrant acte de foi en l'avenir de l'Afrique (article "Zone"). Il ne faut pas cependant s'effrayer de l'éclectisme qui est le propre de ce genre de publication, Le dictionnaire amoureux de l'Afrique est avant tout un magistral ouvrage politique et historique à la démesure de son auteur, Hervé Bourges, témoin privilégié et engagé de l'évolution d'une Afrique à laquelle il a consacré une large part de sa vie et qu'il défend avec passion. Pour le lecteur algérien, Hervé Bourges n'a rien d'un inconnu. On se souviendra de son premier livre, L'Algérie à l'épreuve du pouvoir, préfacé par Jacques Berque et publié en 1977. Après une enfance en Bretagne, sous un ciel bien éloigné de la touffeur des jungles africaines ou de l'aridité des déserts sahéliens, en 1956, au terme de brillantes études de journalisme, il avait choisi d'intégrer Témoignage chrétien, journal qui militait contre la guerre d'Algérie. Deux ans plus tard, en qualité de préposé au théâtre aux armées, il effectue son service militaire à Aïn Arnat, près de Sétif. C'est le début d'une longue histoire d'amour avec l'Algérie qui le conduira à épouser la cause des indépendantistes. En 1960, il intègre le cabinet d'Edmond Michelet, garde des Sceaux du général de Gaulle, qui le charge de rendre visite régulièrement aux chefs du FLN algérien (Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf) qui viennent d'être arrêtés lors du détournement de l'avion civil marocain qui les conduisait du Maroc en Tunisie et sont emprisonnés d'abord à l'île d'Aix puis au château de Turquant, dans la vallée de la Loire. C'est là qu'il va nouer des liens de confiance avec Ben Bella et les quatre autres prisonniers algériens. Des liens si étroits qu'après l'indépendance, en 1962, quand Ben Bella l'appellera à ses côtés, il acceptera. Situation paradoxale que celle de cet ex-fonctionnaire français au cœur du nouveau pouvoir à Alger... À la chute de Ben Bella, il choisit de rester en Algérie en qualité de conseiller du ministre de l'Information, mais un an plus tard il est arrêté et questionné sans ménagement par la Sécurité militaire. À Alger, le cardinal Duval, à Paris, Edmond Michelet, Jacques Chirac, jeune conseiller du Premier ministre Georges Pompidou, puis le président Pompidou lui-même interviendront auprès du président Houari Boumediene pour obtenir sa libération. Dès cette époque, Hervé Bourges est devenu un personnage inclassable, traître à sa patrie pour les nostalgiques de l'Algérie française et condamné à mort par l'OAS, barbouze au service de la France pour la Sécurité militaire algérienne. "Je n'étais ni l'un ni l'autre", dira-t-il. "J'étais simplement quelqu'un qui essayait de rendre service à l'Algérie et de donner une image de la France convenable." Naïveté ou utopie ? Cinquante ans plus tard, cela nous vaut des portraits documentés et sans concession de tous les protagonistes de cet épisode de la vie de l'auteur et de la grande histoire de l'Algérie qui ne peuvent qu'intéresser les lecteurs algériens et non algériens. La suite de la carrière d'Hervé Bourges va en faire l'observateur privilégié de toutes les réalités de l'Afrique et non plus seulement de la réalité algérienne. À son départ d'Alger, il renoue avec sa vocation première, le journalisme, mais n'abandonne rien de sa passion pour l'Afrique en fondant l'école de journalisme de Yaoundé (Cameroun). Il devient ensuite un personnage clé des médias français, puisqu'on le retrouve, entre autres, à la tête de Radio France internationale, de Radio Monte-Carlo, du groupe France Télévision et finalement président du Conseil supérieur de l'audiovisuel... Mais l'Afrique et le monde arabe ne sont jamais bien loin : devenu ambassadeur de France auprès de l'Unesco, puis président de l'Union de la presse francophone, il reste un voyageur infatigable qui dira, lors des obsèques de Léopold Sedar Senghor, qu'il effectuait son 75e voyage à Dakar. C'est fort de cette connaissance intime de l'Afrique, de tous les puissants qu'il a côtoyés et de tous ceux qui en construisent le quotidien, qu'il a entrepris la rédaction de ce dictionnaire amoureux qui compte plus de 800 pages et deux cent-cinquante entrées. Amoureux est bien le mot juste : "J'ai tout appris par l'Algérie et par l'Afrique. L'Algérie et l'Afrique m'ont ouvert de vastes horizons. Vivre seulement à l'intérieur de nos frontières en disant ‘la France, la France, la France' et en martelant que nous sommes la cinquième puissance mondiale ne suffit plus", a-t-il déclaré l'an passé dans une interview au Point. Et comme il se doit d'un amoureux, Hervé Bourges a écrit un ouvrage plein de passion et de curiosité mais aussi d'exigence qui nous permet de pénétrer l'Afrique par ses climats, sa faune, ses forêts profondes ou ses déserts mais surtout par ses hommes, par sa culture et par son histoire. Loin d'être un ouvrage simplement didactique, comme peuvent l'être certains des dictionnaires amoureux de la désormais célèbre série de la maison d'édition Plon, Le Dictionnaire amoureux de l'Afrique est un ouvrage qui ravira tous ceux qui veulent approfondir leur connaissance de l'Afrique et sont heureux d'y retrouver un parfum de choses vécues aussi bien que ceux qui souhaitent en partir à la découverte. Mais n'oublions jamais que l'homme Hervé Bourges est toujours présent derrière son texte : c'est une vision personnelle de l'Afrique qui nous est présentée, chaleureuse et optimiste quant au devenir de continent, en dépit des turbulences qui le traversent, et toujours exigeante. Par : Ali Ghanem. Cinéaste Dictionnaire amoureux de l'Afrique d'Hervé Bourges - Editions Plon 857 pages.