Partout, il y a désormais une divinité locale à laquelle se soumet l'administration. Il peut se trouver un wali ou un chef de daïra plus porté sur les "affaires juteuses", dont c'est la saison, que sur une évolution de carrière, forcément hypothétique par ces temps d'incertitude. "Qui a fraudé contre qui ?" Telle est la question que l'on se pose inévitablement lorsqu'on entend toutes ces dénonciations qui viennent, cette fois, non pas seulement de l'opposition, mais aussi, pour la première fois, des partis du pouvoir, le FLN et le RND, et de leurs alliés permanents ou de circonstance. Il faut sans doute entendre ces dénonciations d'où qu'elles viennent et leur accorder le même crédit, qu'elles émanent de l'opposition ou des partis ayant pignon sur rue. Et, à entendre les réclamations du FLN dans certaines régions du pays, ou encore les récriminations d'Ouyahia évoquant le parti pris de fonctionnaires, on en conclut que nul n'est désormais à l'abri du trucage des élections et du détournement des suffrages des électeurs. Il faut donc en convenir : la fraude électorale ne serait plus un monopole du pouvoir politique qui, jusqu'ici, décidait, à chaque échéance, des quotas à attribuer aux uns et aux autres. Elle est aussi, à présent, le fait d'une administration hors de contrôle de ce pouvoir politique. La déliquescence des institutions et l'irruption de l'oligarchie sur la scène politique, l'une et l'autre dues à un climat politique délétère qui dure, ont eu pour effet immédiat l'émergence d'un pouvoir informel, mais bien réel. On a eu à le vérifier au plan national, notamment, lors des dernières législatives, puis lors de l'épisode qui a vu un Premier ministre, fraîchement nommé, se faire démettre de ses fonctions. On le vérifie de nouveau, à l'occasion du scrutin de ce 23 novembre : au niveau régional, l'administration a désormais de nouveaux ordonnateurs. Ici, c'est la puissance tribale qui "élit" le maire. Là, c'est quelque riche propriétaire, voire un "affairiste", qui dicte sa loi, fort de sa capacité à financer ses desiderata et assuré, toutefois, d'avoir investi utilement son argent. Ailleurs, c'est encore un wali, un chef de daïra ou un oligarque de province qui répartit les sièges, au profit du FLN ou du RND, voire d'un "indépendant" ou d'un petit parti candidat à la rente, au gré des convenances locales et indépendamment de toute directive de la hiérarchie. Partout, il y a désormais une divinité locale à laquelle se soumet l'administration. Car, dans les différentes régions de notre vaste territoire, l'enjeu économique est de taille et surpasse, par endroits, les considérations politiques. Il peut se trouver un wali ou un chef de daïra plus porté sur les "affaires juteuses", dont c'est la saison, que sur une évolution de carrière, forcément hypothétique par ces temps d'incertitude. Et, du coup, il peut arriver que le RND ou le FLN soient, ici ou là, spoliés de quelques voix, voire de quelques sièges, dans une Assemblée communale ou de wilaya, au nom d'intérêts liés au foncier, au mobilier ou à de futurs marchés publics juteux. Ces deux partis seraient-ils donc dans une situation d'arroseurs arrosés ? Sans doute pas à ce point, car, globalement, la fraude électorale continue de leur profiter plus qu'elle ne les lèse, même si cela risque vraisemblablement de ne pas durer indéfiniment. Car il se laisse voir, déjà, un glissement en douceur du centre de décision, qui passe des mains du pouvoir politique institutionnel à celles de forces occultes et informelles qui échappent totalement à tout contrôle. On assisterait donc à une décentralisation du pouvoir de frauder. Mais comment l'administration ignore-t-elle les décideurs institutionnels pour se soumettre ainsi au diktat de ces nouveaux maîtres du jeu électoral ? D'abord, parce que les anciens maîtres l'ont initiée à la fois à la fraude et à la soumission. Ensuite, parce que, pour avoir introduit les loups dans la bergerie, ils ont fini, fatalement, par "perdre la main". Saïd Chekri