Le froid glacial de Paris n'a pas dissuadé les marcheurs. Ils étaient quelque 30 000 hier à marcher de la place de la République à La Bastille en solidarité avec les détenus du mouvement en Kabylie. Une marche silencieuse. Aucune banderole, sauf celle qui s'étire le long de la rue, en tête du cortège : “Algérie. Libérez les détenus du mouvement.” Aucun slogan de revendications. Les organisateurs y tenaient tellement que lorsque des voix s'élevaient pour scander “Pouvoir assassin”, elles sont très vite ramenées à l'ordre. “Pas de slogans. La marche est silencieuse. Respectez le mot d'ordre.” Un seul drapeau algérien flotte au milieu d'une dizaine de drapeaux frappés aux couleurs amazighes. Sur les trottoirs, on distribue des tracts, la plate-forme de revendications d'El-Kseur et une pétition pour la libération des détenus. Les personnalités kabyles se font discrètes, fondues dans la foule. Idir, le chanteur, tient à marquer l'évènement de sa présence. Egalement discret au milieu des marcheurs, un poste-cassette diffusant des chansons de Matoub Lounès. “Depuis la mort de Matoub, je n'ai pas vu autant de monde marcher à Paris.” Rachid Abrika, le frère du détenu, ne cache pas sa satisfaction. Réfugié en France depuis quelques mois, il participe au mouvement depuis la France. Rachid a de mauvaises nouvelles venant des prisons de Kabylie. L'état de santé de Belaïd Abrika s'est dégradé. Malgré les multiples pressions, y compris celles de sa mère, il refuse de suspendre sa grève de la faim. Le sort des autres détenus est encore plus inquiétant. Ceux qui avaient suspendu le mouvement ont décidé de reprendre la grève. Pour sensibiliser l'opinion publique internationale, les animateurs du mouvement en France comptent interpeller le président Jacques Chirac dès la semaine prochaine. Dimanche 12 janvier, un mémorandum sur la situation en Kabylie sera remis au Président français à l'occasion de la célébration de Yennayer, le nouvel an berbère. Cette initiative se fera à l'occasion d'un rassemblement à la place Saint-Augustin. Tout un symbole pour les organisateurs. Kamel, étudiant à Paris VIIIe, y sera. Il ne rate aucune manifestation, même celles qui sont organisées en Algérie. Kamel vient de soutenir une thèse de DEA dont le sujet n'est autre que l'organisation des archs de Tizi-Ouzou. Une première en France couronnée par une mention très bien délivrée par le jury. “Il est scandaleux de jeter en prison des Algériens dont le seul tort est de revendiquer leurs droits”, dit-il. Mokrane, lui, a échappé de justesse à la prison. Délégué dans un village en Kabylie, il avait participé à tous les conclaves. Il quitte le pays quelques jours avant la grande rafle qui avait touché les principaux animateurs du mouvement en automne dernier. Aujourd'hui exilé, il affirme vouloir continuer le combat en France. Mokrane déplore le silence des médias français concernant la Kabylie. Il est vrai que la crise en Kabylie et le sort des détenus n'ont plus droit au chapitre dans les colonnes des journaux. “Peut-être que ce soir ils diffuseront quelques images au journal télévisé”, espère-t-il. Les organisateurs ne cachent pas leur satisfaction. La manifestation est un succès. La marche se clôture par une prise de parole du poète Benmohamed en kabyle et de la chanteuse Djura en français. Un communiqué devrait être rendu public. Malgré le froid, les Kabyles de France ont tenu à marcher. De quoi donner chaud au cœur pour les dizaines de délégués qui croupissent en prison. F. A.