Il pointe du doigt cette tentative des autorités, dénoncée par d'autres partis, de jouer la carte de la manipulation en cherchant à opposer la population aux syndicats. L'ancien chef de gouvernement, Ali Benflis, semble avoir fait sa religion : ni la lettre de Bouteflika, considérée comme une "diversion", ni l'"apparente" activité de l'Exécutif ne témoignent d'une gouvernance moderne du pays. Au contraire, à ses yeux, le régime politique s'enfonce dans l'autoritarisme, ne se soucie que de survi, met le pays en péril et pousse les mouvements sociaux à la radicalisation. "En recourant à la répression des mouvements sociaux, le pouvoir politique viole tout à la fois, le droit de manifester pacifiquement, le principe de la liberté syndicale, le droit de grève et la liberté d'expression, consacrés par la Constitution et pousse ces mouvements à la radicalisation", a accusé, hier à Zéralda, Ali Benflis, dans une allocution à l'ouverture des travaux du conseil national de son parti, Talaie El-Houriat. Il dénonce le recours des autorités à la répression pour mater les mouvements sociaux notamment ceux des médecins et des enseignants. "Plutôt que d'être à l'écoute des citoyens, le pouvoir politique en place n'a pas hésité à recourir aux méthodes et aux instruments de la répression, propres aux régimes autoritaires : usage inconsidéré de la force, menaces de représailles, instrumentalisation de la justice, répression administrative notamment les licenciements et les retenues sur salaires, discrédit des syndicats (...)", dénonce-t-il. Il pointe aussi du doigt cette tentative des autorités, dénoncée par d'autres partis, de jouer la carte de la manipulation en cherchant à opposer la population aux syndicats. "Le pouvoir politique a tenté, en vain, de monter la population contre les mouvements de contestation en usant de la stratégie de la peur et du chantage à la stabilité, en désignant des boucs émissaires qu'il croit trouver tantôt dans la ‘main étrangère' qui voudrait provoquer ‘un printemps algérien', tantôt dans des ‘forces de déstabilisation internes' qui noircissent le tableau et sèment le trouble à l'approche de l'élection présidentielle", soutient Benflis dans une allusion franche à Ahmed Ouyahia. "Le pouvoir politique n'a pas compris que ce n'est pas aux agents de l'ordre public, au demeurant des fils du peuple, des citoyens comme les autres, de régler les conflits sociaux, dont la responsabilité est de son ressort". Il ne cache pas, dans la foulée, son "inquiétude" face à l'enlisement que connaissent les mouvements de contestation dans les secteurs en effervescence, la santé et l'éducation. "Comment qualifier l'attitude des pouvoirs publics dans la gestion des conflits dans ces deux secteurs, sinon d'inconscience, d'irresponsabilité et de mépris", dit-il non sans appeler au "dialogue" et à la "reconnaissance des syndicats autonomes". "L'Algérie est entrée dans une phase de gestion des affaires courantes" à cette gestion autoritaire s'ajoute l'absence de gouvernance, au sens moderne du terme, selon l'ancien secrétaire général du FLN. À telle enseigne qu'il n'hésite pas à l'assimiler à une "gestion des affaires courantes". "Notre pays stagne quand il ne recule pas. Il n'est pas gouverné au sens moderne du terme. Il est entré dans une phase de ‘gestion des affaires courantes' qui risque de durer au-delà de 2019", dit-il. En cause : le vide au sommet de l'Etat qui handicape la vie institutionnelle du pays et son positionnement sur la scène internationale. "Notre pays est dans une impasse politique totale. Les décisions se prennent en dehors des institutions. Les forces extraconstitutionnelles agissent ‘sans visage'. Les prérogatives présidentielles sont détournées, usurpées. Les lobbies squattent les arcanes du pouvoir et veillent sur leurs intérêts", observe Benflis avant d'ajouter : "Le Premier ministre se fait souvent rappeler à l'ordre alors qu'il déclare appliquer le programme du Président. Les décisions et les contre-décisions, les revirements du gouvernement désorientent les opérateurs économiques nationaux et étrangers. L'absence de cohésion gouvernementale sur des dossiers importants est manifeste. Les ministres, abandonnés à leur solitude face à la dégradation de leurs secteurs de responsabilité respectifs font leur aveu d'impuissance en attendant que l'oracle se prononce et apporte les solutions." "Cette situation a provoqué immanquablement l'inertie et l'immobilisme", souligne-t-il. Un "statu quo" que le pouvoir cherche à pérenniser alors que des segments en son sein se livrent bataille pour "se positionner" au cas où la succession serait ouverte, par médias et clientèles interposés, en perspective de l'élection de 2019. "La perspective de l'élection présidentielle, vue par le pouvoir politique comme rendez-vous pour proroger sa ‘fausse légitimité' par la méthode habituelle du détournement de la volonté populaire, a amené le pouvoir à adopter une démarche qui consiste à gérer le statu quo et à gagner du temps. Il joue sur la diversion pour détourner l'attention des acteurs politiques et du citoyen, d'une situation politique, économique et sociale délétère et dévier le débat politique sur l'échéance présidentielle, un hypothétique cinquième mandat, et d'autres questions périphériques". Pour une solution "consensuelle urgente" Face à l'impasse politique, la "gouvernance chaotique" de l'économie, qu'illustrent les déclarations contradictoires des ministres chargés des dossiers économiques et la réunion de "tous les ingrédients pour un dérapage dangereux", Ali Benflis, qui affirme qu'il s'exprimera sur la présidentielle "au moment opportun", appelle à l'ouverture d'un dialogue pour une solution "consensuelle". "Il est de la plus haute responsabilité du pouvoir en place d'éviter un tel dérapage. Comment ? En ouvrant un dialogue sincère pour une solution consensuelle de la crise globale que nous vivons." "La recherche d'une solution consensuelle à la crise globale qui affecte le pays est d'une urgence indiscutable. Et ce ne sont pas les initiatives d'acteurs politiques allant dans ce sens qui ont manqué" (...). Par ailleurs, lors d'un point de presse animé en marge du CC, Ali Benflis a qualifié de "diversion" le récent message de Bouteflika sur la démocratie, insistant sur "l'existence de la crise et le nécessaire retour à la souveraineté populaire". Aussi, il soutient qu'il "ignore les secrets de l'Etat" concernant la sortie de Gaïd Salah. "L'ANP (qu'il salue) peut accompagner une solution consensuelle entre parties. Autre chose, je n'ai pas de commentaire à faire". Il s'est également refusé à commenter les déclarations du SG du FLN invoquant "des sympathies avec certains militants qu'il refuse de mettre mal à l'aise". Enfin, il a annoncé qu'il dispose de "secrets et de dossiers sur les dernières élections locales" qu'il divulguera au moment opportun. Karim Kebir