Selon Maître Ksentini, l'accueil par les autorités algériennes d'une mission d'Amnesty est justifié par un changement de politique. Philip Luther et Uta Simon, délégués d'Amnesty international en mission à Alger depuis le 6 mai dernier, se sont envolés, hier soir, à Ghardaïa, où ils devront rencontrer les élus locaux du Front des forces socialistes (FFS) également membres de la Ligue Algérienne de la défense des droits de l'Homme (Laadh), récemment libérés de prison au terme d'une détention de plusieurs mois, sous prétexte d'avoir provoqué des troubles dans la vallée du M'zab en octobre 2004. Avant de prendre l'avion, Philip Luther a bien voulu répondre aux questions de Liberté sur les motivations de la visite de AI en Algérie. Tout en préférant réserver le dévoilement de ses observations à la fin de la visite qui sera couronnée par une conférence de presse, il a donné quelques indications sur le programme. À cet égard, il a confirmé que des demandes d'entrevues ont été adressées aux autorités, notamment les ministères de l'intérieur et de la justice. Le calendrier arrêté par les responsables de l'ONG internationale reporte les dates des rencontres avec les officiels à la troisième semaine de la mission, soit à partir du 20 mai. Auparavant, le chef de la mission, Philipe Hensmans, et un quatrième délégué, Javier Zunigua, rejoindront Alger respectivement les 18 et 19 mai. Quatre axes sont inscrits au menu du déplacement de la délégation de AI dans notre pays. Ils s'articulent autour de la question des droits de l'Homme, les violences contre les femmes, la liberté de la presse et bien évidemment, le projet d'amnistie générale. Depuis leur arrivée, Philip Luther et Uta Simon ont eu des discussions avec l'ensemble de la direction de la Laadh, dont son président Ali Yahia Abdenour et les associations de disparus. Numéro 2 de la Laadh, maître Hocine Zahouane contacté, hier, s'est félicité de la venue des représentants de AI. Les responsables de la Ligue et d'Amnesty se retrouvent après plus de deux ans. En effet, la dernière mission de l'organisation internationale en Algérie remonte à février 2003. À la fin de la même année, AI avait introduit auprès des autorités une nouvelle autorisation de mission. Sa sollicitation est restée dans les tiroirs jusqu'au mois dernier. “Nous avons obtenu la permission d'accès et les visas à la dernière minute”, relate Philip Luther. Surpris, les représentants d'Amnesty n'ont pas eu assez de temps pour préparer leur voyage et prendre des contacts ici, si bien que deux d'entre eux ont été envoyés en éclaireurs, afin de baliser le terrain. En attendant que le groupe soit au complet, il est à se demander pourquoi le gouvernement algérien a répondu maintenant et favorablement à la requête d'Amnesty. Maître Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative pour la protection et la défense des droits de l'Homme (CNCPDDH) détient une partie de la réponse. “Kouna Ghadhbanine Alihoum” (On était mécontents), ironise-t-il. Plus sérieusement, il affirme “qu'auparavant, l'Etat algérien n'était pas satisfait du travail” fait par Amnesty. L'est-il aujourd'hui ? Le président de la CNCPDDH soutient plutôt “un changement de politique grâce à la pression des organisations locales”, à l'instar de la sienne. “Nous préférons qu'ils soient là — les représentants de AI ndlr — et discutons avec eux au lieu qu'ils nous condamnent de loin”, explique-t-il. L'avocat se montre “disponible” à rencontrer les délégués de AI “lorsqu'ils le souhaitent”. Une nouvelle entrevue devra également les réunir avec les responsables de la Laadh. Des patrons de presse seront aussi sollicités sur les atteintes à la liberté d'expression. Quant aux pouvoirs publics, AI est toujours en attente de la réponse du département de M. Zerhouni. Les autorités devront, entre autres, expliquer leur choix pour une amnistie générale. Il est tout à fait étrange que l'ONG soit autorisée à venir chez nous au moment où une vaste campagne est engagée en faveur de ce projet auquel elle y est farouchement opposée. S. L.