C'est dans une ambiance conviviale que Maïssa Bey et son éditeur Selma Hallal ont présenté, d'une manière très originale, “Surtout ne te retourne pas”. C'est devant une assistance “épurée” que Maïssa Bey, qui s'est déplacée le jour même de Sidi Bel-Abbès, a présenté, à la librairie Chihab, son dernier roman, édité chez Barzakh, après l'édition française sortie chez De L'Aube, Surtout ne te retourne pas. Quand je dis “épurée”, c'est pour me permettre une réflexion, plutôt faire un constat qui reste difficile à comprendre. Il y a quelques jours seulement, deux autres auteurs ont signé et présenté leurs ouvrages respectifs dans cette même librairie, mais devant une foule telle que les organisateurs étaient débordés. Tous les hommes de lettres, éditeurs, auteurs, journalistes, libraires s'étaient empressés pour écouter Pierre Péan et Delanoë, le premier, connu pour ses livres polémiques, et le deuxième qui n'a de rapport avec la littérature que ses “Mémoires”. Ceci dit, je reviens à Maïssa Bey, un auteur bien de chez nous, en chair et en os, et surtout en lettres, du fait qu'elle n'est plus à présenter et, à la limite, n'a pas besoin de foule pour s'affirmer. Mais, cela n'empêche pas de rester interrogatif devant l'attitude de ceux qui s'intéressent de près aux livres et à la littérature et, surtout, aux considérations qui les animent, qui les poussent à cautionner ou à réagir, comme les ménagères qui jettent toujours leur dévolu en matière de vêtements sur le made in. Cette indifférence, affichée à l'égard de nos écrivains et artistes, semble devenir une fatalité, car prônée maintenant même en dehors de son circuit officiel. Maïssa Bey, qui continue son petit bonhomme de chemin courageusement et avec ténacité, n'est plus à présenter et c'est avec un livre fort, encore plus accompli que les précédents, qu'elle revient. La présentation très originale, voire passionnante, un dialogue entre Maïssa et Selma, a suscité une envie dévorante de lire le roman. Les mots de Maïssa Bey sont très forts, significatifs, qui forment des phrases courtes, ils nous introduisent dans des univers fait de douleurs, certes, mais de luttes et de courage. Les femmes de Maïssa se ressemblent toutes, car elles ont du caractère, en dépit de leur grande souffrance. Surtout ne te retourne pas prend pour décor le séisme qui s'est produit dans le pays. Maïssa Bey, qui a vécu cette tragédie scotchée devant son poste de télévision, comme elle le dira, ne pouvait qu'écrire pour exorciser tout ce mal et toute cette souffrance qu'elle a vus sur les visages, et qui l'ont profondément ébranlée. Ce livre est avant tout un hymne à l'amour, dans toute sa dimension, mettant en exergue les valeurs humaines et l'esprit de solidarité. “Dans ce livre, j'évoque des êtres qui ont vécu une catastrophe, mais qui se sont mis à se reconstruire”, dira-t-elle. Celle à qui on souffle, durant tout le roman, cette phrase : “Surtout ne te retourne pas”, s'appelle Amina, une jeune fille sensible, équilibrée, qui, sur le point d'être mariée, préfère tout abandonner et partir. Rompant avec son identité, ses racines et sa vie, la jeune femme profondément ébranlée par le séisme décide de rejoindre le groupe des victimes du tremblement de terre. Dans le camp 8, adoptée avec une autre fille et un adolescent par Dada Aïcha, un personnage fort attachant, Amina, qui s'appelle désormais Wahida, découvre face au spectacle de ce désastre, au milieu du saccage, des aspects alors inconnus. Réfugiée dans une amnésie voulue, Amina va rencontrer une autre femme, Dounia. Cette dernière est plus que convaincue qu'Amina est sa fille. De là vont s'enchaîner des situations, des faits ; s'ouvre alors le passé et éclatent les secrets ; sur la naissance d'Amina, sur Dounia, qui vit dans la tourmente, car cachant un lourd secret, sur Sabrina, qui se construit en vendant son corps. Ce livre ne se raconte pas, mais se lit, et ses personnages s'ouvrent sur le lecteur et ne l'enferment pas dans des stéréotypes. N. B. Maïssa Bey : Surtout ne te retourne pas - Editions Barzakh, mai 2005, 206 pages/400 DA.