"Pourquoi le fournisseur, l'armateur et le commandant de bord n'ont-ils pas été interrogés ? " se demande Me Chaïb, qui estime que "c'est l'une des pistes à explorer pour arriver à la vérité". Le feuilleton judiciaire autour de l'affaire de la saisie de 701 kg de cocaïne, le 29 mai dernier au port d'Oran, ne connaîtra pas son épilogue de sitôt. Le collectif d'avocats des six accusés que sont l'importateur Kamel Chikhi, deux de ses frères, son directeur commercial, l'un de ses associés et un employé, met en avant des éléments susceptibles de donner une autre tournure à cette affaire. "Tout le monde a vu à la télévision les pièces à conviction saisies par les services de sécurité. Outre la cocaïne, il y avait des sacs imperméables, des lampes, des GPS, des batteries et des cordes. La présence de ce matériel sur le cargo transportant les containers de viande dans lesquels était dissimulée la drogue, porte à croire que celle-ci était destinée à être jetée en haute mer et récupérée par la suite par des vedettes de narcotrafiquants et non acheminée vers l'Algérie. C'est un mode opératoire connu. Mon client Kamel Chikhi est une victime. On veut éviter l'erreur judiciaire", nous a déclaré, hier, Me Sadek Chaïb. Il pense que les narcotrafiquants, informés par leurs réseaux des soupçons des autorités espagnoles, ont été contraints d'abandonner la marchandise. Actuellement, l'instruction judiciaire s'est limitée au périmètre de l'importateur et promoteur immobilier et de son entourage immédiat. Après plus de 30 heures d'audition menées par le juge d'instruction, les prévenus ont été placés en détention le 8 juin dernier pour trafic de drogue, blanchiment d'argent et constitution d'une organisation criminelle transfrontalière. Pour l'instant, le juge en charge de l'affaire n'a pas encore délivré des commissions rogatoires vers l'Espagne et le Brésil, jugées déterminantes pour la défense qui espère une instruction à charge et à décharge explorant toutes les pistes. L'avocat s'interroge : "Pourquoi le fournisseur, l'armateur, le commandant de bord n'ont-ils pas été interrogés ? C'est l'une des pistes que le juge d'instruction doit explorer pour arriver à la vérité." Kamel Chikhi n'a pas pu expliquer comment les 701 kg de cocaïne ont pu se retrouver dans la cargaison de viande qu'il a importée du Brésil. Les enquêteurs ont examiné les scellés des containers pour savoir s'ils ont été changés au cours du transport comme l'a soutenu le principal accusé durant son interrogatoire. Me Chaïb nous confie que dès le début de l'enquête, il a été établi que les scellés des containers ont été changés. "Le juge d'instruction doit demander des explications aux autorités espagnoles. Car le droit maritime international fait obligation, lors de l'ouverture de scellés, de s'assurer de la présence du représentant de la société brésilienne qui a fourni la viande, de la société qui a assuré le transport de la marchandise ainsi que du capitaine de bord. Ce qui n'a pas été fait. Où est la responsabilité algérienne dans tout cela ? Beaucoup de zones d'ombre sont à élucider", estime-t-il. Parmi lesquelles cette promptitude des autorités espagnoles à remettre les scellés sur les containers suspects avant de permettre leur embarquement à bord du navire "Véga Mercury", affrété par MSC pour être acheminés vers l'Algérie. "Il fallait ouvrir une enquête en Espagne", proteste l'avocat de Kamel Chikhi. À ce stade de l'instruction, on ne sait pas non plus pour quelles raisons l'un des associés de Kamel Chikhi ainsi que ses deux frères ont été placés sous mandat de dépôt. "La société importatrice de la viande est l'Eurl Dounia Meat. Dans les statuts d'une Eurl, il n'y a pas d'associés, alors pourquoi impliquer dans cette affaire les deux frères de Chikhi et l'un de ses associés dans une toute autre entreprise ?", se demande Me Chaïb. La chambre d'accusation du pôle pénal d'Alger rendra son verdict aujourd'hui sur l'appel interjeté par la défense pour l'annulation des mandats de dépôt prononcés contre les six accusés. Pour rappel, 25 autres personnes ont été interrogées dans le cadre de cette affaire en qualité de témoins. Parmi elles, 5 membres de l'équipage de nationalité philippine, ainsi que le commandant de bord du "Véga Mercury", le navire affrété par la société suisse MSC qui a assuré le transport des containers de viande dans lesquels était dissimulée la drogue. Nissa Hammadi