La chanson chaouie se porte mal. Nesrine, comme une Amazone, vient de sauver ce genre musical. Native de Kabylie, on l'a découverte au dernier festival Raconte-arts, où elle s'est produite avec son partenaire Fayçal, qui forment le jeune groupe Iwal. Ils se sont faits remarquer par un répertoire des plus riches qui aborde des thématiques universelles. Ils reprennent à leur sauce des titres d'artistes internationaux, comme Joan Beaz en langue algérienne, ou encore Indochine en chaoui. Dans cet entretien, Nesrine nous parle de son expérience dans la musique, et la situation de la chanson chaouie. Liberté : Le duo Iwal voit le jour à un moment où la chanson chaouie ne semble pas être au mieux de sa forme… Nesrine (Iwal) : Oui malheureusement pour la chanson chaoui. L'embargo médiatique dont elle a été victime et, elle l'est toujours d'ailleurs, a fait que beaucoup d'artistes chaouis ont été jetés aux oubliettes et que d'autres ont abandonné la scène artistique. Il y a aussi une autre raison, c'est le désintérêt du public pour l'art. En fait, comme il n'existe pas d'éducation culturelle, on n'apprend pas au public à goûter à l'art ou à investir dans ce dernier. L'art se retrouve sans fonds financiers et sans public, et, automatiquement, il meurt... Vous ne semblez pas aborder les mêmes thématiques des pionniers de la chanson chaouie – la cavalerie, les racines, la quête identitaire… Est-ce que c'est un choix ? Actuellement l'Algérien ou l'être humain en général, a besoin d'entendre des vérités, des réalités qu'il rencontre à chaque moment, quotidiennement ! Comme l'injustice sociale, les libertés collectives et individuelles, la situation de la femme, des travailleurs etc. Pour ce qui est de nos racines, de notre identité nous ne les voyons pas de la même manière. En tant que progressistes, nous cherchons à revenir sur ce qu'a été le peuple berbère avant ; fonder le respect de la terre, l'autosatisfaction au moins alimentaire, la mixité, l'auto-organisation, l'entraide ...Tout en se débarrassant bien sûr du côté négatif de cette identité comme par exemple la question de l'héritage, la dot, l'exclusion de la femme de tajmaât… Aujourd'hui la langue berbère est nationale et officielle et on n'est pas censé avoir de doute sur ce qu'on est. La terre est berbère, nous sommes Berbères. Pas besoin de le justifier ou de le prouver, l'histoire le dit. Du coup le combat qui s'impose est un combat d'idées et de qualité. On doit produire et laisser aux générations futures de la matière. On a l'impression que le large public se tourne plutôt vers le divertissement et la chanson de variétés. Y a-t-il de nos jours une place pour la chanson à texte, comme vous le faites ? Justement, comme je disais un peu plus haut, les gens ont besoin d'entendre des vérités car on les gave de mensonges chaque jour. Notre propre expérience nous le démontre. Ce n'est pas l'Etat qui nous garde en vie artistiquement parlant. Si ce n'était pas l'intérêt de ces citoyens simples, ces prolétaires qui se reconnaissent dans nos textes, nous ne serions pas aussi présentS sur le terrain. Iwal est un duo, un des habitués du festival Raconte-arts. Qu'est-ce qui vous attire dans ce festival ? Et qu'est-ce qui le différencie selon vous des festivités dites officielles ? Pour commencer il faut savoir que le festival International Raconte-Arts qui est à sa 15e édition, est un festival citoyen. En d'autres termes, c'est les villageois qui font qu'il existe encore, c'est eux qui ouvrent les portes de leurs maisons et de leurs cuisines, Il n'a aucune subvention de l'Etat et pourtant c'est le festival le plus important en Algérie et c'est ce qui le rend unique. Le festival de Timgad avec le budget qu'on lui consacre et à sa 40e édition, n'a pas pu réaliser le 1/8 de ce que Raconte-Arts réalise. Il n'y a pas place au protocole ou aux clichés. On retrouve une relation directe et spontanée entre l'Homme et l'Art. Pour résumer c'est un retour aux sources de l'être humain conscient : convivialité, solidarité, tolérance, joie de vivre... C'est un honneur pour nous d'être ceux qui représentent les Aurès au sein de ce monde-festival et auprès de toutes ces nationalités. C'est une lourde tâche mais on réussit à la réaliser grâce à notre équipe (la troupe) et à son dévouement pour la culture auressienne. Avec Fayçal vous constituez l'unique duo d'auteurs-interprètes. Faites-vous appel à d'autres paroliers pour vos chansons ? Et compositeurs. On espère en voir d'autres suivre notre chemin... Pour la plupart des textes c'est nous deux mais cela n'empêche pas que nous chantons aussi des textes ou des chansons d'autres personnes mais, pour cela nous analysons méticuleusement les textes. S'ils n'entrent pas dans notre ligne idéologique, on ne prend pas. Ce qui nous importe le plus, c'est le message qu'on fait passer et qu'on laisse pour les jeunes générations avant tout. On ne chante pas juste pour chanter. On a un projet de vie, des objectifs à réaliser et un but à atteindre qui est un monde d'égalité de droit et de chance. Un monde meilleur où l'Homme et la nature ne feront qu'un. Pour quand prévoyez-vous la sortie du 1er album ? Et que contiendra-t-il ? Quand on aura les moyens - rires-. Nous connaissons tous la situation de l'artiste en Algérie. Surtout celle de l'artiste engagé. La précarité totale. Mais ce n'est pas la seule raison qui fait qu'on tarde. C'est aussi parce qu'on veut réaliser un travail de qualité. C'est facile d'aller à un studio d'enregistrement de tout mettre sur CD et ressortir mais est-ce qu'on sera satisfait ? Est-ce que notre public sera satisfait ?! On veut le meilleur et on travaille pour l'avoir. Par ailleurs Il se peut qu'on entame le travail de studio en septembre. C'est très difficile de trouver du temps entre le travail pour vivre, les scènes et les déplacements. Entretien réalisé par : H. Tayab