Expert reconnu dans le domaine pétrolier, Abdelmadjid Attar analyse, dans cet entretien, le recours par Sonatrach à l'option du schiste pour améliorer les réserves d'hydrocarbures. Liberté : Le P-DG de Sonatrach, Abdelmoumen Ould Kaddour, a déclaré, la semaine dernière à Bloomberg, que les premiers forages en offshore et de gaz de schiste seront lancés en 2019. Pensez-vous qu'au vu de la situation actuelle des réserves restantes en hydrocarbures conventionnels le pays est plutôt contraint de s'orienter vers l'exploitation de ses hydrocarbures non conventionnels ? La sécurité énergétique serait-elle en jeu ? Abdelmadjid Attar : Il y a quatre moyens de renouveler ou au moins stabiliser les réserves et la production d'hydrocarbures : - La première voie, la plus facile, la plus rapide, et la plus rentable consiste à améliorer le taux de récupération dans les gisements existants, ce qui se fait de façon continue. - La deuxième consiste à maintenir un effort d'exploration continu sur les hydrocarbures conventionnels, ce que Sonatrach fait aussi depuis sa création, et surtout en partenariat depuis les années 80. Mais il faut hélas reconnaître que ce dernier a plus ou moins atteint ses limites du fait de l'insuffisance de renouvellement des réserves (faible taille des découvertes) et du recul du partenariat du fait de l'absence d'attractivité depuis une décennie en matière de partenariat (législation pétrolière). - La troisième voie consiste à étendre ses efforts de recherche d'une part sur les zones du domaine minier peu connues, caractérisées par un risque technique (complexité géologique) et financier très élevé (zones offshore et onshore du nord de l'Algérie). L'idéal serait de le faire en partenariat. - La quatrième voie consiste à envisager l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels dont la localisation et l'estimation des réserves sont parfaitement bien connues de Sonatrach sur le plan technique, d'où le terme "techniquement récupérables", mais dont le mode, les moyens, et les coûts d'exploitation restent à définir. Là aussi le partenariat est nécessaire. C'est ce qui explique la stratégie actuelle de Sonatrach, avec il me semble une prise de risque volontaire pour gagner du temps et améliorer l'attractivité de l'Algérie en attendant la modification de la législation pétrolière en cours, parce qu'il y va effectivement de la sécurité énergétique du pays à long terme.
Peut-on avoir une idée sur les réserves restantes en hydrocarbures conventionnels (offshore compris) ainsi que des estimations sur le potentiel algérien en pétrole et en gaz de schiste ? Les réserves restantes en hydrocarbures conventionnels représentent à peine 58% de ce qui a été découvert à ce jour, et il faut hélas reconnaître que nous sommes en train d'épuiser ce qui reste avec peu de renouvellement depuis plus d'une décennie, en dehors de révisions annuelles des réserves et de petites découvertes non développées à ce jour. D'après les différentes publications et évaluations disponibles, elles seraient d'environ 14 milliards de tonnes-équivalent pétrole tout confondu (pétrole, condensat, gaz, et GPL). Mais il n'y a que 51% de ce volume qui est prouvé le reste étant probable et possible. C'est ce qui inquiète en matière de sécurité énergétique à long terme, si des efforts importants et nouveaux ne sont pas mis en œuvre non seulement pour explorer et exploiter de nouvelles réserves (surtout non conventionnelles) mais aussi en matière de modification du modèle de consommation énergétique. La consommation intérieure s'accroît à plus de 8% par an. C'est vraiment beaucoup. A priori le potentiel résiduel qui reste à découvrir peut faire partie de la catégorie conventionnelle, mais il sera enfermé dans de petits gisements souvent complexes et coûteux à développer. Par contre le potentiel non conventionnel est vraiment très important avec pratiquement 22 000 milliards de mètres cubes de gaz techniquement récupérables. Les deux premiers forages de test réalisés par Sonatrach sont très positifs et encouragent la poursuite de l'évaluation de ce potentiel, en attendant d'une part que les technologies progressent pour réduire les coûts de développement qui sont trop élevés, et que la nouvelle loi pétrolière puisse aussi les rendre plus attractifs au point de vue fiscal et contractuel. Pour ce qui est de l'offshore, cette zone fait partie du domaine minier algérien sur lequel Sonatrach a, non seulement réalisé des travaux de prospection géophysique, mais aussi tenté à plusieurs reprises d'en faire la promotion en vue d'un éventuel partenariat, avec par conséquent un ou plusieurs forages d'exploration. Et tant qu'aucun puits de cette catégorie n'a été réalisé, il est impossible de dire s'il y a ou non un potentiel en offshore. Le puits prévu coûtera très cher mais il permettra au moins d'améliorer sa connaissance.
Les premiers forages expérimentaux de gaz de schiste ont été mal accueillis par les populations du Sud. Les techniques de forage ont-elles évolué depuis ? Les conditions d'une bonne exploitation des réserves non conventionnelles sont-elles réunies en Algérie ? Les craintes et les préoccupations de la société civile sont tout à fait légitimes, surtout quand il s'agit d'un choix opposé à l'eau, ressource rare et vitale non seulement au Sud mais dans tout le pays, et je doute personnellement que Sonatrach, ou l'Etat algérien prennent un risque non contrôlé ou le permettent à l'avenir de la part de leurs partenaires. Même les forages nouvellement annoncés par Sonatrach ne sont que des forages d'évaluation pour préciser le potentiel et la répartition géographique des possibilités d'exploitation sans risques, tester les techniques et les conditions d'exploitation, et évaluer la rentabilité de ces hydrocarbures non conventionnels. On ne peut pas ignorer que ce type de ressource a quand même donné naissance à une véritable révolution aux USA et même perturbé les échanges et le marché pétroliers dans le monde. L'Argentine et la Chine ont déjà démarré son exploitation. Il faut bien sûr prendre en considération les risques et nuisances survenus ou pouvant survenir dans d'autres régions du monde, mais il ne faut pas comparer le cas et l'environnement algérien à celui de certains pays d'Amérique ou d'Europe. Les techniques d'exploitation ont déjà beaucoup évolué depuis une décennie et on réfléchit beaucoup à des méthodes d'exploitation avec des fracturations sans eau, des coûts de plus en plus bas et surtout une occupation de surface plus raisonnable avec une prise en charge totale des rejets pouvant être polluants. Quid de la réglementation sur l'exploitation des hydrocarbures de schiste et de l'offshore ? Pensez-vous que la prochaine loi sur les hydrocarbures va prendre en charge cet aspect ? En fait cette réglementation a déjà été adaptée dans les amendements de 2013, mais cela est resté insuffisant, surtout suite à la chute du prix du baril de pétrole. Il me semble que les amendements en cours de réflexion au niveau du ministère de l'Energie sont en grande partie consacrés à ce volet.
Quels sont, selon vous, les défis énergétiques auxquels est confrontée l'Algérie à moyen et à long termes, au-delà de la question de la baisse de la production et des réserves ? Je vais peut-être vous étonner en vous disant que l'Algérie ne devrait pas faire face en théorie à des défis énergétiques, parce qu'en principe non seulement les réserves conventionnelles restantes pourraient couvrir les besoins intérieurs sur plusieurs décennies, et pour peu que la transition énergétique ait pu se concrétiser avec le fameux programme de 22 000 mégawatts depuis son annonce en 2011, il n'y aurait pas de soucis en ce moment. Mais dans la réalité, l'Algérie a un souci majeur et un défi de rente et de diversification de son économie. C'est la majeure partie de sa production d'hydrocarbures qui est exportée pour assurer la survie du pays à tous points de vue. Cette situation s'est encore aggravée avec la chute des recettes pétrolières depuis 2014, la fonte des réserves de change, et le retard dans la réalisation du programme des énergies renouvelables qui était supposé fournir dès 2030 une bonne partie de la consommation d'électricité (27%). Ce dernier ne semble pas pouvoir être au rendez-vous, et nécessitera lui-même plus de 100 milliards de dollars d'investissement. C'est pour tout cela que le défi demeure et le restera au niveau du secteur de l'énergie qui devra continuer à produire au maximum, y compris avec les hydrocarbures non conventionnels, en espérant que le baril ne chutera pas de nouveau, et en attendant que le pays produise de nouvelles richesses hors hydrocarbures, ce qui prendra à mon avis plusieurs décennies. Biographie express Abdelmadjid Attar, consultant international et fondateur du cabinet d'études Petrochem 2000, dont il est directeur général, avait assuré par le passé les fonctions de président-directeur général du groupe Sonatrach entre 1997 et 1999. Il était aussi ministre des Ressources en eau. Il est ingénieur géologue, option exploration pétrolière, diplômé de l'Institut algérien du pétrole.