Parce qu'elle vise à ériger, à terme, le Maghreb en un élément géostratégique régional d'importance, doté de moyens politico-économiques de son existence et de son ambition, cette intégration heurte, dans son objectif d'union, de lourds intérêts régionaux, voire mondiaux. Répondant au roi Mohamed 6, appelant l'Algérie à un "dialogue direct et franc pour asseoir les relations entre les deux pays sur de solides bases de confiance, de solidarité et de bon voisinage", l'Algérie, rejetant ce face-à-face, a appelé à une initiative multilatérale, impliquant les pays du Maghreb, rappelant "la nécessité de l'édification de l'ensemble maghrébin". Des positions contraires et éloignées les unes des autres montrent toute la difficulté qu'éprouvent les deux pays à s'entendre sur une démarche claire, solidaire et consensuelle pour l'édification d'un Maghreb uni. Pour comprendre cet état de fait ou de blocage, il est utile de revenir en arrière pour saisir toutes les nuances et les difficultés qui entravent la construction d'un Maghreb uni. La position politico-diplomatique pro-marocaine de la France post-pompidoulienne est caractérisée, dans la question sahraouie, par sa constance dans l'appui aux thèses du Makhzen. On a pu lire dans certaines analyses qu'un tel positionnement s'inscrivait dans l'anti-algérianisme viscéral d'une France qui aurait mal vécu l'ère de la décolonisation, marquée par l'accès à l'indépendance des anciennes colonies. D'autres y voient plutôt le résultat de la densité des relations ésotériques des loges maçonniques des deux pays et de leur secrète influence sur la décision française. Plus nombreux sont ceux qui l'expliquent par l'importance des intérêts économiques de la métropole au Maroc, un pays, qui, à des fins de lobbying, ne lésine sur aucun moyen, allant jusqu'à s'offrir à l'expression des perversions des décideurs d'outre-mer, ravis d'y trouver gracieusement les commodités à leur débauche. S'il est vrai qu'il y a de la pertinence dans les approches précitées et, dans leur inter-relation, l'analyse serait incomplète si elle venait à occulter la dimension géostratégique qui est à l'origine du blocage et de l'échec de l'édification maghrébine. L'impératif géopolitique d'une convergence globale régionale à propos de la nature des relations postcoloniales avec l'ancien colonisateur s'est matérialisé, au lendemain des indépendances nationales, par la résurgence du projet maghrébin, déjà envisagé à leur époque par les dirigeants des mouvements nationalistes indépendantistes nord-africains. Le projet régional d'intégration territoriale avec, à terme, son prolongement économique, politico-diplomatique et sécuritaire ne pouvait, en tant que nouvel élément dans les rapports mondiaux, que susciter le rejet de la France qui avait ses plans, type Françafrique, pour ces pays neufs, relevant de facto de sa zone d'influence. Porteur d'une intention politique d'indépendance régionale, dans le sillage des indépendances nationales, le projet maghrébin d'agrégation des atouts régionaux vise à doter la future union maghrébine d'une capacité de négociation avec l'environnement mondial. Il contrecarre en cela la stratégie de division et de morcellement des potentialités, sur laquelle repose la néo-politique de domination postcoloniale, dès lors qu'il favorise l'émergence, aux portes de l'Europe, d'un ensemble potentiellement viable et concurrentiel, à impact macro-politique et macro-économique susceptible de dépasser le cadre régional. Parce qu'elle vise à ériger, à terme, le Maghreb en un élément géostratégique régional d'importance, doté de moyens politico-économiques de son existence et de son ambition, cette intégration heurte, dans son objectif d'union, de lourds intérêts régionaux, voire mondiaux. Non agréée préalablement par les décideurs unilatéraux mondiaux, son handicap fatal réside dans sa non-inscription dans le cadre prérequis par la mondialisation, laquelle privilégie, non pas le processus fédératif, mais la prolifération de micro-Etats et l'individualisation des économies nationales. Les économies dominantes s'accommodent, en fait, davantage d'accords bilatéraux d'association, avec des partenaires coincés dans le sous-développement, fragilisés par les défaillances structurelles de leurs économies respectives et inaptes à endiguer le déversement sur leurs marchés de la surproduction des pays industrialisés. Du côté des pétromonarchies du Golfe, confinées dans un rôle de sous-traitance régionale de la realpolitik américaine, le souci, majeur, pour être en mesure de mener à bien cette mission qui fonde leur existence dans la carte mondiale d'insertion dans les zones d'influence issues de Yalta, est dans la préservation de leur prédominance décisionnelle dans les cénacles arabes et musulmans. Un Maghreb uni, se prévalant d'une même voix diplomatique et d'une relative puissance économique par la pluralité de ses atouts et la complémentarité des économies et des marchés qui le composent, présente le désavantage de concurrencer le leadership moyen-oriental et de contrebalancer la tendance de l'alignement systématique sur les propositions de résolutions américano-wahhabites. De ce Maghreb, vu comme un trublion d'une partition pseudo arabe, réglée, depuis toujours, par la baguette US, personne n'en veut. Ni l'Europe, ni Israël, ni les monarchies arabes. Plus que d'être le résultat des intelligences étrangères, l'échec de l'édification du Maghreb est, avant tout, imputable aux intelligences maghrébines et au peu d'envergure des directions politiques régionales, coincées entre leur cupidité territoriale, leur rigidité diplomatique et leur silence complice. D'un litige politique, le Maroc et l'Algérie ont franchi de dangereux caps dans leurs animosités réciproques. Des bruits de bottes se font entendre de part et d'autre de la frontière, alors que le bouton de déflagration, épée de Damoclès se trouve être ailleurs. Quant à la question du Sahara occidental, prise dans l'engrenage des enjeux géostratégiques dont elle est une victime collatérale, elle reste, nonobstant la légitime aspiration de son peuple à l'indépendance et du droit international qui plaide en sa faveur, tributaire, sauf miracle onusien, peu probable, des grandes puissances à l'endroit de la construction maghrébine. Dans l'hypothèse la plus favorable, elle stagnera dans le statu quo actuel, en faveur de la partie marocaine, dans l'attente de la reconfiguration géographique de la région, après celle du Moyen-Orient. Inacceptable, pour l'heure, dans un monde unipolaire qui dicte ses volontés, aux servilités de service, il est à espérer que l'idéal maghrébin renaîtra de ses cendres lorsqu'émergeront, des générations futures, des dirigeants d'envergure, intelligents et maghrébins convaincus, qui sauront négocier les obstacles, dépasser les égoïsmes nationaux et être à la hauteur de la noble ambition de réunir, sous de mêmes intérêts, des peuples que tout rassemble, et que les frontières coloniales ont artificiellement, séparés et opposés. Dr M. M. (*) Membre de l'Observatoire citoyen algérien (OCA)