Cette montée en puissance de la contestation ne semble pas inspirer d'autres attitudes au sommet de l'Etat que la persistance entêtée dans la voie du 5e mandat. Le chef de l'Etat, candidat à sa propre succession, est officiellement rentré de Genève où il a été soigné pendant deux semaines. Le pouvoir, acculé par la formidable mobilisation populaire contre le 5e mandat et le système, n'a rien pu faire pour que ce retour au pays d'Abdelaziz Bouteflika se fasse dans un climat apaisé. Et ce n'est pas la volonté et, encore moins, l'envie qui ont manqué. Il a vainement essayé. La veille de ce retour, qui n'était pas annoncé, les artisans du projet de la continuité ont manœuvré fortement, mais très maladroitement, pour tenter d'atténuer la pression de la rue. La manœuvre, autant grossière que ridicule, est celle du ministre de l'Enseignement supérieur lequel, inspiré assurément par les mêmes égéries qui recommandent de maintenir contre vents et marées la candidature de Bouteflika, décrète sine die, de manière régalienne, sans concerter les recteurs d'université et encore moins les organisations estudiantines, d'avancer la date des vacances universitaires. Tout le monde a compris que le pouvoir a, dans l'idée, de fragiliser la contestation populaire qui est allée crescendo jusque-là en l'amputant de l'apport de son fer de lance, qu'est la mobilisation estudiantine. Peine perdue. Non seulement les étudiants — ainsi que leurs enseignants — ont fait promptement savoir qu'ils ne comptent pas se laisser distraire par une telle manœuvre, mais les manifestations ont repris dès le lendemain matin. Preuve en est que c'est par une grève générale observée aux quatre coins du pays et des manifestations de lycéens et d'étudiants, que Bouteflika a été accueilli hier. Et, visiblement, cette montée en puissance de la contestation ne semble pas inspirer d'autres attitudes au sommet de l'Etat que la persistance entêtée dans la voie du 5e mandat. Une attitude inadaptée, tant elle est en décalage avec la réalité. Les trois vendredis de colère, particulièrement le dernier, qui a vu plusieurs millions d'Algériennes et d'Algériens sortir dans les rues, sont autant de référendums populaires qui, tous, rejettent le 5e mandat. Aussi, faire fi de ce verdict du peuple et persister dans l'entêtement, ressentis à juste titre comme de la provocation, risquent de mettre le feu aux poudres. Les partisans du 5e mandat ont-ils conscience du risque qu'ils font courir au pays ? À la manière dont ils réagissent aux événements, on est tenté de croire qu'ils ne mesurent pas les conséquences de leur comportement. D'ailleurs, ils ne donnent pas l'air d'être près de lâcher du lest. Néanmoins, les commentaires travestissant la réalité qu'ils continuent d'inspirer aux médias publics, la télévision notamment, trahissent, cependant, leur fausse sérénité, voire leur panique. Au niveau partisan, les alliés du pouvoir sont comme frappés d'hébétude devant ce qu'il se passe, mais aussi déconcertés par les démissions en série qu'ils enregistrent dans leurs rangs. À tel enseigne, d'ailleurs, qu'il est permis de dire que les soutiens au 5e mandat se sont amenuisés pour devenir des appareils rachitiques, incapables de réaction. S'ils ne sont pas seuls, Bouteflika et son clan ne tarderaient pas à l'être, au regard des défections en cascade. L'ampleur de la mobilisation contre le 5e mandat, qui ne faiblit pas, compromet même le scrutin présidentiel. Surtout que des élus de l'opposition, ceux du RCD plus précisément, ont décidé de ne pas organiser le vote dans leurs circonscriptions. Cette décision, si elle venait à être adoptée par d'autres élus d'autres formations politiques, compromettrait sérieusement l'organisation de l'élection du 18 avril. C'est dire que le passage en force n'est, cette fois-ci, pas du tout évident. En tout cas, il ne serait pas sans fracas et dégâts s'il venait à être osé. Il sera d'autant plus risqué s'il s'accompagne de répression, qui pourrait être la dernière tentation d'un pouvoir acculé dans ses derniers retranchements. Or, il faut vraiment chercher le chaos pour tenter de réprimer tout son peuple. Sofiane Aït Iflis