Les Algériens continueront leur marche aujourd'hui pour le quatrième vendredi consécutif. Le soi-disant retrait de Bouteflika de briguer un 5e mandat et surtout l'annulation de l'élection présidentielle n'arrangent pas tout à fait les choses. Il y a de la ruse et de la manœuvre dans la démarche. Le peuple exige le «départ de tout le régime». Le régime, aux abois depuis le début du mouvement populaire le 22 février, est vraiment à bout de souffle. Il a abattu vainement toute ses cartes pour se redresser et redémarrer sa machine de propagande médiatico-politique, pensant qu'il a encore une marge de manœuvre pour s'en sortir indemne ou avec le minimum de préjudices. Toutes les manœuvres anticonstitutionnelles orchestrées ces derniers jours par les «décideurs» au nom du président Bouteflika servent, au mieux, à gagner du temps pour sauver les intérêts des dignitaires du pouvoir, au pire, à tenter de confisquer la victoire de la révolution citoyenne pacifique contre l'autoritarisme et la corruption. Pour ce faire, les gens aux manettes comptent sur l'essoufflement des mobilisations multisectorielles et la création de divisions au sein de l'opposition et de la société civile, sur fond de mise en place d'un supposé gouvernement d'union nationale et de la préparation de la conférence nationale de transition. Or, tous ces desseins n'ont aucune chance d'aboutir si la rue ne décolère pas. Le seul véritable rapport de force que détient le peuple algérien, particulièrement la jeunesse, pour imposer sa propre feuille de route pouvant enclencher un réel processus de changement démocratique dans le pays, en rupture totale avec une quelconque transition clanique ou un recyclage d'anciens agents du régime, c'est la poursuite des manifestations et des rassemblements en force. Et ce, pour au moins trois bonnes raisons. 1 La revendication initiale, principale, liée au refus d'un 5e mandat, n'est satisfaite qu'à moitié, voire pas du tout, même s'il s'agit d'une victoire symbolique des manifestants qui ont réussi à faire reculer le clan présidentiel. Alors que l'un des points qui ont exacerbé la colère populaire était l'inconstitutionnalité de la candidature d'Abdelaziz Bouteflika, sans sa présence et dans un état de santé qui devrait le disqualifier d'office, son entourage a violé une nouvelle fois la Constitution en annulant l'élection présidentielle sans raison constitutionnelle valable, prolongeant ainsi le mandat en cours. Au final, tel que l'ont bien résumé certains protestataires : «On a voulu des élections sans Bouteflika et on a eu Bouteflika sans les élections.» 2 Le discours conciliant du nouveau tandem de l'Exécutif, Bedoui-Lamamra, et les soi-disant concessions annoncées ne doivent duper personne. Il faut en effet avoir en tête le cas égyptien de 2011, les tenants du pouvoir avaient alors fait semblant d'abdiquer et réussi à refroidir l'élan d'une révolte qui était censée renverser la dictature de Moubarak. C'était finalement pour les acteurs du régime autocratique une stratégie payante pour prendre du recul et avoir les moyens de se réorganiser, aidés par la fin du soulèvement populaire pacifique et l'évacuation de la place Tahrir. Cela leur a permis de reprendre le dessus sur l'opposition et de mener des représailles féroces contre les leaders de la contestation. C'est dire si les Algériens ont tout à gagner en poursuivant leur mobilisation jusqu'à satisfaction des revendications essentielles, à commencer par le départ effectif de Bouteflika et de sa «clique», la même qui gouverne depuis 1999. 3 Le pays n'aura peut-être jamais d'autre occasion pour se doter d'un Etat de droit digne de ce nom, par la voie pacifique et consensuelle. Depuis le putsch contre le GPRA en 1962, l'opposition démocratique, qu'elle soit partisane ou citoyenne, n'a pas pu avoir un rapport de force aussi important en sa faveur pour pouvoir espérer l'élection d'une nouvelle Assemblée nationale constituante libre. Ce rêve est désormais à portée de main, à condition que la population reste unie et persévérante en défilant dans la rue, pacifiquement et de manière civilisée, comme on l'a vu jusqu'à maintenant, pour disloquer ce qui reste de l'ossature du régime. Continuer la mobilisation sur le terrain, c'est garder son destin loin des tractations opaques des survivants du système, c'est aller au bout du rêve de construire une deuxième république algérienne foncièrement démocratique et sociale.