Contribution de Said Sadi publiée sur sa page Facebook. Un peu partout dans le monde, les peuples émancipés des régimes tyranniques communient en ce premier mai dans la ferveur générale pour célébrer le travail libérateur. Les Algériens, s'ils devaient se résigner devant les oukases des dirigeants, seraient réduits, cinquante sept ans après l'indépendance, à devoir choisir entre la peste et le choléra. La régression en marche Faudrait-il en arriver à regretter Bouteflika ? Grotesque sinon provocatrice, la question vient s'ajouter aux tourments de l'actualité ! Le fait est qu'en l'état actuel des choses, les propositions confessées par l'ancien chef d'Etat - juste avant d'être éjecté par son fidèle chef d'état-major, lui même pressé par la rue - sont nettement moins contraignantes que l'entonnoir politique dans lequel ce dernier cherche à engager la nation. On se souvient que Bouteflika avait préconisé une période de transition inclusive limitée dans le temps et qui aurait à définir les perspectives qui conviennent le mieux au pays. Le chef d'état-major, désormais président de fait, exige de tout un chacun de se soumettre à un dictat intangible : les instances de l'ancien régime doivent organiser les élections présidentielles « dans les meilleurs délais ». Autant dire que dans ces conditions les appels au dialogue, signifient que le système décrié par des millions d'Algériens depuis maintenant deux mois et demi a de beaux jours devant lui. On aurait toutes les raisons de douter de la disponibilité de Bouteflika à respecter les engagements qu'il a pris s'il avait pu sauver son trône. Mais pour un militaire, dire une chose et son contraire dans la même intervention n'est pas la meilleure façon de ménager une crédibilité déjà sujette à caution. On ne peut pas prétendre avoir entendu le peuple et se présenter en tenue léopard chaque mardi pour lire, à partir des quartiers généraux des différentes régions militaires, une fetwa annonçant le maintien des appareils et des pratiques d'un système qui a soulevé le rejet unanime des Algériens. Sans compter que chaque semaine, le même auteur mobilise son armada pour encercler la capitale en vue d'empêcher les citoyens de l'intérieur du pays de se joindre aux Algérois pour crier ensemble leur irrépressible aspiration à la dignité. Des jeunes de Zemmouri, ne pouvant accéder à Alger par la route, ont longé la côte avec une barque pour manifester avec leurs compatriotes. Il y a à peine trois mois de cela, plusieurs d'entre eux auraient utilisé le même transport pour fuir le pays et, peut être, sombrer en mer. Tout un symbole. Mais, c'est bien connu, le despotisme, c'est la force brutale. Il ignore les révélations qui nourrissent les rêves et construisent les volontés. L'homme qui répète à l'envi ne pas faire de politique dit inscrire ses actes dans le strict respect de la constitution. A la fois serpillière et étendard de l'oligarchie, la loi fondamentale du pays est foulée aux pieds sans état d'âme quand il faut imposer un abus ou satisfaire un caprice. Le même texte est opposé au peuple souverain comme un totem dès qu'il proclame sa volonté d'en finir avec l'un des derniers avatars politiques post- coloniaux. Les allégations qui consistent à justifier un statut de tuteur autoproclamé de la nation par des attributions constitutionnelles qui seraient conférées à l'armée ne reposent sur aucune réalité. Nulle disposition de la constitution ne donne le droit à un chef d'état-major, fut-il vice-ministre de la défense, de dicter ses volontés à la patrie ni, d'ailleurs, d'instruire la justice pour quelque mission que ce soit. D'ailleurs, la démarche, saugrenue et bancale, alimente toutes sortes de spéculations. Sur les réseaux sociaux comme dans les lieux de débat les plus ordinaires, on se demande si cette défiance populaire est inspirée par l'arrogance d'un responsable grisé par sa puissance de feu ou la peur d'avoir à rendre des comptes; d'autres évoquent ouvertement des pressions extérieures devant lesquelles il serait difficile se dérober. Il n'est jamais bon de proférer des paroles ou de se mettre dans des situations qui laissent prospérer ce genre de supputations quand un pays s'apprête à réinventer son destin. La tentation autoritaire Ce mardi encore, le parlement et le gouvernement, dont les Algériens exigent le renvoi comme préalable à toute initiative, sont, contre toute forme de bon sens, expressément convoqués pour organiser « le renouveau ». L'annonce a été suivie sur la toile par des salves de commentaires plus acides les unes que les autres. On aurait cependant tort de ne voir que l'aspect dérisoire de cette dérive. Les décisions à connotation régionalistes voire tribales caractérisant la profusion de sanctions et de promotions de ces dernières semaines approfondissent et élargissent des fractures sociales et politiques qui fragilisent davantage une administration tétanisée depuis toujours par les instructions parallèles et le népotisme. C'est d'ailleurs sans surprise que le tout nouveau secrétaire général du FLN a tenu à adresser son premier message à l'armée pour lui témoigner son allégeance. Rien ne se serait donc passé en Algérie depuis le 22 février. Le militarisme, mal endémique qui ronge l'Algérie, sévit plus que jamais. Pour l'instant, pas un signe ne permet de deviner un semblant de discernement ou une once de volonté de dialogue sérieux, responsable et loyal dans les sorties en rafales du chef d'état-major. Ordonner une élection présidentielle avec les dispositions constitutionnelles présentes équivaut à reconduire un hyperprésidentialisme qui nous a menés à l'impasse dans laquelle nous nous débattons toujours. Tous les acteurs politiques et sociaux un tant soit peu raisonnables conviennent que les élections législatives doivent précéder la présidentielle puisqu'il faut d'abord discuter de la nature du régime ( présidentiel, parlementaire, semi-parlementaire ) qui sied le mieux à l'Algérie d'aujourd'hui. Encore faudrait-il que ce scrutin soit balisé en amont par des préalables démocratiques qui nous prémunissent des aventures électorales sans retour. Reste la grande fantasia : la lutte anti-corruption par laquelle l'état major croit faire diversion sur l'exigence de changement tout en justifiant une confiscation du pouvoir qu'il faut bien appeler par son nom : un coup d'Etat blanc. L'artifice n'a rien d'inédit. L'empereur égyptien Sissi a fait emprisonner tous ceux dont il suspectait, à tort ou à raison, des velléités de contestation de son hégémonie politique. Qu'en l'occurrence le coup de force se fasse directement ou par procuration ne change rien au problème de l'illégitimité qui frappe ce type d'opération. Personne ne peut croire un instant qu‘un magistrat, lui-même bien souvent peu exempt de soupçons, conditionné de tout temps à recevoir par téléphone les sanctions qu'il doit prononcer puisse, du jour au lendemain, se libérer de son inféodation. Personne ne peut croire que l'on veut assainir la vie publique quand on laisse en liberté l'homme qui a usé et abusé du sceau de la République. Y a-t-il plus grande forfaiture ? Personne ne peut croire que le choix des listes transmises au parquet par des services relevant exclusivement de l'état-major, est dénué d'arrière-pensées ni qu'il englobera celles et ceux qui sont associés en affaires avec les décideurs ou celles et ceux qui leur sont proches. Personne ne peut croire que la sélection de dossiers qui sont livrés à l'instruction par la sécurité de l'armée viennent d'être subitement découverts. Personne ne peut croire au sérieux d'une justice dont les décisions sont annoncées par la télévision publique avant même que les auditions aient commencé. Ces remarques n'ont rien de secret. Elles meublent les discussions dans toutes les régions d'Algérie ; ce qui veut dire que la manœuvre a non seulement fait long feu mais qu'elle accable d'abord ses promoteurs. La transition garante de justice La corruption est consubstantielle au système qui a sévi depuis 1962. Livrer à la vindicte populaire des citoyens auxquels on dénie la présomption d'innocence et faire accueillir par des cordons d'officiers de police des notabilités sulfureuses en leur faisant emprunter des portes dérobées des tribunaux donne une idée des intentions et des suites qui seront réservées à ce mauvais théâtre où la justice à deux vitesses se dévoile par la violence et l'indécence. Plusieurs voix l'ont dit et répété : la meilleure manière de lutter contre la corruption est de ne pas entraver la transition démocratique pour laquelle se bat si intelligemment, si généreusement et si vaillamment le peuple algérien. Des mesures conservatoires sont possibles et suffisantes ( ISTN, blocages de comptes, interdiction de vente ou de cession de parts, désignation d'administrateurs…) pour protéger ce qui peut l'être en attendant qu'un nouvel ordre politique séparant les pouvoirs et garantissant une justice indépendante voit le jour. Devant ces réactions, somme toutes grégaires, on hésite entre ironiser sur une tentation pathétique qui ne renonce pas à commettre un hold-up sur une révolution citoyenne sans précédent ou condamner une ambition irresponsable pouvant conduire le pays vers l'abîme. Cependant, une chose se profile un peu plus de semaine en semaine. Il se confirme qu'une rencontre féconde entre l'état-major et la révolution citoyenne a de moins en moins de chance de se produire. Si la raison ne prévaut pas, si les choses n'évoluent pas rapidement vers plus de lucidité, si les inclinations maladives à la ruse ne cèdent pas, le croisement, s'il devait avoir lieu, ne se fera pas dans le calme et la sérénité attendus par le mouvement. Jusque là, le citoyen a su faire preuve de patience et de maturité. C'est tout à son honneur. Dans ce genre de phase historique, les enseignements sont pourtant sans appel. A vouloir tout avoir, on finit par déchoir. Said SADI