La Turquie trouve en la Syrie un terrain de jeu pour gérer ses relations avec Moscou et Washington, faisant des Kurdes-Syriens un moyen de chantage pour s'imposer comme acteur incontournable dans la région du Proche-Orient. L'ère des grandes manœuvres a commencé en Syrie, où le gouvernement de Bachar al-Assad est sur le point de gagner sa guerre contre le terrorisme et l'opposition armée, un conflit armé qui dure depuis mars 2011. Après des mois de tractations, Ankara a réussi à convaincre le soutien américain des Kurdes à créer une "zone de sécurité" à la frontière turco-syrienne, malgré les avertissements de Damas qui dénonce une initiative au service des "ambitions expansionnistes de la Turquie". Hier, les Kurdes du nord-est de la Syrie ont annoncé le début de leur retrait des zones frontalières avec la Turquie, après l'annonce par leur soutien américain d'un accord sur la "zone de sécurité". Les travaux avaient débuté samedi sur "les premiers pas pratiques – dans le secteur de Ras al-Aïn – avec l'élimination de monticules de terre et le retrait de certaines unités des Unités de protection du peuple (YPG) et d'armes lourdes", ont annoncé les leaders kurdes de Syrie dans un communiqué, repris par les agences de presse. Sans la garantie de ne pas s'attaquer aux Kurdes syriens, la mise en place de cette zone de sécurité, voulue par la Turquie depuis 2011, n'aurait pas été possible. Mais il y a aussi le fait que Washington veut se désengager du bourbier syrien, où la présence russe aux côtés de Bachar al-Assad a faussé le calcul des puissances occidentales et de certaines capitales du Golfe qui voulaient sa chute. Ankara tente aussi de trouver un certain équilibre avec son allié russe, notamment dans la province d'Idlib, où les violences armées ont fait hier une cinquantaine de morts dans le camp de l'armée syrienne et des groupes terroristes islamistes, selon un bilan provisoire de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). Un accord russo-turc, conclu l'été dernier et entré en application début octobre, avait permis d'instaurer une "zone de désescalade" entre la province d'Idlib et le reste du territoire syrien, quasiment reconquis par Damas. L'accord en question prévoyait aussi le départ des groupes terroristes et de ce qui reste de l'opposition armée, mais ces derniers ont refusé de déposer les armes. Ce qui a contraint Damas et l'armée russe à mener des opérations ciblées à l'intérieur d'Idlib, faisant des victimes civiles et des milliers de déplacés. "La Russie et la Turquie sont très inquiètes de la situation à Idlib et elles sont convaincues qu'une zone de désescalade ne doit pas être un refuge pour les terroristes", a déclaré le président russe Vladimir Poutine, lors d'un point de presse conjoint avec son homologue turc Recep Tayyip Erdogan, à Moscou. Selon les deux chefs d'Etat, de nouvelles mesures ont été prises concernant Idlib, lors de la rencontre organisée en marge du Salon international de l'aviation MAKS-2019 dans la capitale russe. Même si le pouvoir à Damas se montre en colère contre Ankara, il a tout à gagner de ces changements et nouveaux positionnements qui permettent à Bachar al-Assad de négocier en position de force face à une opposition syrienne affaiblie et divisée.