L'alerte à la contamination au coronavirus était à son maximum, jeudi soir, après enregistrement du premier décès intra-muros. Les partisans d'une suspension temporaire des marches hebdomadaires (vendredi et mardi) et les réfractaires à l'ouverture de la moindre parenthèse dans l'expression du hirak, se sont "livré bataille" sur les réseaux sociaux. Les uns ont mis en avant l'impératif de prendre au sérieux le risque viral, les autres n'ont juré que par leur loyauté au mouvement citoyen et leur attachement au changement radical du régime quel que soit le prix à payer. S'il était évident que la marche du vendredi n'allait pas brutalement cesser d'exister, il était attendu un fléchissement de la mobilisation, justifié par une peur légitime de la contamination. Mais des dizaines de milliers d'Algériens (femmes, hommes, enfants et personnes âgées) ont battu le pavé, des heures durant et dans au moins quarante villes, pour la 56e semaine consécutive. Ils ont réitéré les slogans habituels hostiles au régime, en adaptant quelques-uns à la situation sanitaire, parfois avec dérision. Comment expliquer cette détermination à vouloir occuper la rue alors que le risque d'une épidémie au Covid-19 est réel ? La rupture entre l'Etat et le peuple est telle qu'il est compliqué de ne pas envisager l'alarmisme des pouvoirs publics sous le prisme d'une énième manœuvre de torpiller le hirak. La suspicion est alimentée par une communication déficitaire, limitée presque au bilan chiffré, régulièrement actualisée, des cas confirmés et des décès comptabilisés. Les mesures prises jusqu'alors par le gouvernement paraissent faibles eu égard à l'envergure de la catastrophe sanitaire à l'échelle mondiale. Fermer les garderies, les écoles, les universités et les centres de formation professionnelle une semaine avant la date prévue des vacances de printemps est une action de prévention. Suspendre les prières collectives dans les mosquées, limiter la fréquentation des marchés et des transports en commun et surtout confiner systématiquement, durant la phase d'incubation du virus, les passagers affluant des pays à risque (une quarantaine de vols provenant d'Europe quotidiennement) … aurait donné plus de fiabilité à la démarche de l'Exécutif. Paradoxalement, tout est mis en œuvre pour entretenir le scepticisme de la population insurgée, laquelle craint de subir les pires pratiques de la dictature si elle baisse d'un cran la pression qu'elle exerce sur le régime depuis bientôt treize mois. Vendredi soir, plusieurs activistes ont été arrêtés sur les lieux de leur résidence. Hier, la quatrième marche du samedi a été réprimée par les forces de l'ordre à Alger et à Oran particulièrement. Des dizaines d'interpellations signalées. Les condamnations des hirakistes à des peines d'emprisonnement et le recours à nouveau au mandat de dépôt pour délit d'opinion, ne rassurent guère. En parallèle, le procès de l'ancien directeur général de la Sûreté nationale, Abdelghani Hamel, ses enfants et son épouse, a dévoilé davantage l'ampleur de la corruption des hauts cadres de l'Etat. En clair, il est laborieux d'invoquer la raison et de déconseiller les contestations de rue par prévention contre le coronavirus quand le peuple n'a confiance ni en les dirigeants du pays ni en l'élite.