L'exécution des mesures de clémence destinées aux terroristes ne sera certainement pas circonscrite dans un délai précis. La campagne référendaire sur la charte portant réconciliation nationale bat son plein. Les électeurs sont appelés à approuver majoritairement des dispositions spécifiques devant consacrer, selon l'initiateur du projet, le retour de la paix. Il n'y a nul besoin de posséder des dons de voyance pour savoir que la charte sera largement plébiscitée. Le peuple donnera ainsi un chèque en blanc au président Bouteflika pour disposer à sa convenance des modalités d'application de sa plate-forme. Selon des sources concordantes, divers ministères (Justice, intérieur, solidarité nationale, santé…) collaborent dans la préparation d'une batterie de lois et de décrets d'application, lesquels détailleront les dispositions pratiques du projet portant réconciliation nationale. Ces textes cibleront chacune des catégories touchées par les mesures contenues dans les cinq chapitres de la charte. “Chaque action se traduira par un texte législatif ou réglementaire”, soutient Abdallah Bouchenak, directeur général de la solidarité nationale au niveau du ministère de tutelle. Les projets de loi seront examinés par les deux chambres parlementaires durant la session d'automne, qui s'ouvre le 3 septembre prochain. “Les députés ne sauraient y apporter des changements notificatifs dès lors que le peuple a approuvé les principes généraux de la réconciliation nationale. Nous ne sommes que ses représentants”, souligne Nourredine Fekaïr, député FLN, ancien magistrat et membre de la commission juridique d'élaboration de la loi portant rétablissement de la concorde civile. Le passage de ces textes par l'APN puis le Conseil de la nation ne serait alors qu'une formalité, qui consolidera un peu plus la liberté du chef de l'Etat d'aller aussi loin qu'il le voudra dans sa démarche. Sa générosité envers les terroristes pourrait atteindre une dimension plus grande que le champ d'action de la concorde civile. Selon les personnalités que nous avons approchées, les textes qui géreront les mesures de clémence dont profiteront les terroristes ne seront certainement pas circonscrits dans un délai déterminé comme l'a été la loi portant rétablissement de la concorde civile. “Il ne faut surtout pas limiter dans le temps les lois qui seront promulguées”, préconise Me Farouk Ksentini, président de la commission nationale consultative de défense et de promotion des droits de l'Homme (CNCDPH). L'enfermement de la loi de 1999 dans une échéance de six mois a constitué l'une de ses failles majeures. “Il est question d'assainir la situation des activistes qui ont déposé les armes après le 13 janvier 2000. Et ils sont nombreux”, indique Mohamed Boudiar, président de la commission des affaires juridiques au Sénat. Au-delà de cette différence, les futures lois reprendraient assurément les mêmes mécanismes mis en place par la loi sur la concorde civile, notent nos interlocuteurs. Le chapitre de la charte pour la réconciliation nationale, consacré aux terroristes, ne contient pas réellement de nouveautés par rapport aux dispositions légales prises en leur faveur il y a six ans ou aux mesures apportées par la loi sur la “rahma”, décrétée par le président Zeroual en février 1995. Cette fois aussi, les terroristes ayant participé aux massacres collectifs, viols et attentats à l'explosif dans des lieux publics sont théoriquement en marge de l'extinction des peines, qui profitera aux relais, soutiens ainsi qu'aux auteurs des assassinats ciblés. “Les “émirs” seront inclus dans cette catégorie ne serait-ce qu'en leur qualité de commanditaires”, estime Nourredine Fekaïr. “Même si on veut pardonner, il y a des limites qu'il ne faut jamais franchir. On ne peut pas amnistier les auteurs des actes les plus horribles, ce qui est considéré comme un crime contre l'humanité”, souligne à son tour le président de la CNCDPH. Ils bénéficieront, néanmoins, de réduction ou de commutation de peines. “Par commutation de peines, on entend une alternative à l'emprisonnement par une amende, une assignation à résidence, une déchéance des droits civiques…” , explique Mohamed Boudiar. Pour déterminer avec exactitude le rôle de chaque élément des groupes armés dans les attentats, des comités de probation seront probablement réactivés. “Il n'y a pas d'autres moyens de procéder”, notent MM. Fekaïr, Boudiar et Me Ksentini. La proximité de la charte sur la réconciliation nationale avec la loi sur la concorde civile dans ses dispositions destinées aux terroristes n'est nuancée que par l'inclusion des disparus et des familles des terroristes dans la notion de “victimes de la tragédie nationale”. Identifier les proches des activistes armés aux parents de leurs victimes exacerbe les règles de l'éthique. “Au-delà de la morale, il faudra faire des concessions sans verser dans la compromission”, commente Me Ksentini. “Le même traitement sera donné à toutes les catégories. Les familles des victimes, des disparus ou des terroristes auront le statut de victime de la tragédie nationale”, ajoute notre interlocuteur. Reste à savoir quelle qualité sera octroyée aux femmes violées, assimilées jusqu'alors à des personnes blessées dans des attentats. “Des textes spécifiques régiront la situation des femmes violées par des terroristes”, rapporte Abdallah Bouchenak. “L'Etat procédera à la régularisation de l'état civil des enfants nés au maquis”, assure Abdelaziz Belkhadem, ministre d'Etat, représentant personnel du président de la République, rencontré en marge de la cérémonie de l'installation du Conseil supérieur de la magistrature. “Cette catégorie est très fragile. Nous militerons pour qu'elle ait un statut particulier”, promet Me Ksentini. Pour autant, cela est-il suffisant ? Qu'en est-il alors du devoir de vérité ? N'est-il pas du droit des victimes ou de leurs proches d'exiger des excuses de la part des responsables de leurs drames ? “En Afrique du sud, la confrontation entre les victimes et les bourreaux n'a servi à rien. À mon sens, il faut éviter en Algérie les shows médiatiques et aggraver les fractures sociales qui sont déjà trop nombreuses chez nous”, épilogue l'avocat. Souhila. H et Samia. L