L'éditrice Nacéra Khiat s'est lancée dans cette aventure, car elle considère qu'une telle "initiative ne peut être que bénéfique pour l'éditeur et le lecteur algérien". Dans cet entretien, elle revient sur ce projet ainsi que sur l'un des principaux obstacles, à savoir le paiement en ligne. Si ce dernier est réglé par les services concernés, "les éditeurs pourront réaliser plus de ventes, toucher un plus grand public sans investissement supplémentaire". Liberté : Vous êtes l'initiatrice du site Aramebook, de vente d'e-books. Comment est né ce projet, premier du genre dans le pays ? Nacéra Khiat : Aramebook est une plateforme algérienne qui commercialise des livres numériques. Elle est née à partir d'un souhait qui ne m'a pas quitté depuis que le e-book s'est généralisé dans le monde. Loin de tout débat et litige entre les deux versions du livre, papier et numérique, j'ai toujours pensé qu'une telle initiative ne peut qu'être bénéfique pour l'éditeur et le lecteur algériens. Le livre numérique s'envole au-delà des frontières géographiques et ne connaît pas les contraintes que connaît le livre papier ; il peut donc atteindre des lecteurs que le livre en version papier n'atteindra pas. Ainsi, nous le rendons accessible non seulement pour des lecteurs algériens qui, pour une raison ou une autre, ne trouvent pas des ouvrages qu'ils souhaitent lire aux alentours, mais aussi pour des lecteurs étrangers à qui on donne l'occasion de découvrir une littérature algérienne publiée localement et très mal connue dans le monde. Sans parler bien sûr de l'avancée technologique qui a fait qu'une catégorie de lecteurs préfère carrément le e-book. En combien de temps cela s'est-il concrétisé ? Le retard que connaît notre pays en matière de e-paiement a reporté la création de la plateforme, mais comme les années passaient, il fallait inverser les rôles ; au lieu d'attendre que le paiement en ligne soit d'actualité et se lancer ensuite, j'ai préféré m'aventurer en lançant d'abord Aramebook avec les moyens du bord et attendre que le e-paiement se généralise. Concrètement, cela a pris deux ans entre la création et la vérification technique, avec le lancement en version d'essai et bien sûr l'alimentation en livres qui se poursuit encore avec la collaboration des éditeurs. En cette période de confinement, la demande est-elle plus importante ? Pendant ce confinement, nous avons constaté effectivement une plus grande interaction sur la plateforme ; il est à noter que beaucoup de gens ont trouvé le temps de revenir vers la lecture, ou de lire un peu plus d'ouvrages, et cherchent à obtenir des livres sans être obligés de se déplacer. Le fait d'avoir offert, en accord avec quelques éditeurs, une partie du catalogue à titre gracieux durant cette période a encouragé la demande. Des éditeurs et des libraires estiment que la solution à la crise que traverse la chaîne du livre est la vente en ligne. À travers votre expérience, cela peut-il réellement apporter du changement ? Cela peut apporter un grand changement. Quand on parle de vente en ligne, il y a deux volets : la vente des livres en version papier et la vente d'e-books, donc en version numérique, comme nous le proposons sur Aramebook. Pour la version papier, cela a été lancé il y a quelques années. Cela reste encore timide mais c'est encourageant. L'avantage est que le paiement se fait à la livraison ; reste la contrainte logistique, les éditeurs ou les libraires ne peuvent pas satisfaire toutes les demandes à travers le pays. Pour la version numérique, c'est une alternative très intéressante et cette crise sanitaire l'a bien démontré. Aramebook est la première plateforme algérienne à le proposer, sauf que nous revenons toujours au même problème, le paiement en ligne, qui présente un grand handicap. Une fois ce problème réglé, opter pour le numérique pourra donc apporter un grand changement puisqu'il permettra aux éditeurs de réaliser plus de ventes et de toucher un plus grand public sans investissement supplémentaire. Sans parler de notre littérature qui ira au-delà des frontières de notre pays. En tant qu'éditrice, comment vivez-vous cette crise sanitaire ? Il est à signaler que déjà avant cette crise sanitaire la situation de la chaîne du livre était difficile. La crise économique que connaît le pays ces dernières années a affecté ce secteur sensible, peut-être un peu plus que les autres domaines. Actuellement et comme toute activité est suspendue afin de limiter la contamination au Covid-19, les maisons d'édition sont pratiquement à l'arrêt, certaines ont carrément annulé des parutions prévues ce premier semestre de l'année, quelques librairies essaient de s'organiser comme elles peuvent en optant pour des livraisons à domicile dans la mesure du possible et bien sûr toute animation livresque a été annulée. Comme nous manquons de moyens concrets nous permettant de nous organiser autrement, notamment le paiement et la vente en ligne, le secteur est presque paralysé par cette crise et les retombées de cette dernière l'affecteront un peu plus et l'affaibliront. Outre la vente en ligne, quelle autre alternative pour "sauver" le livre ? En redonnant d'abord au livre la place qui lui revient de droit dans les écoles. Habituer un enfant aux livres, c'est faire de lui un lecteur et ce sont les lecteurs qui permettent à toute la chaîne du livre d'exister. Il faudra aussi rouvrir les bibliothèques municipales et en créer partout, en plus de trouver des solutions, en partenariat avec les acteurs du livre, au problème de distribution. L'Etat peut beaucoup aider en offrant des avantages aux libraires — il est désolant de constater que la capitale ne compte qu'une dizaine de librairies — et en baissant les taxes afin de réduire les charges des imprimeurs et des éditeurs qui pourront de cette manière réduire les prix des livres et les rendre encore plus accessibles aux lecteurs. L'animation autour du livre est tout aussi importante. Les aides et les subventions qu'offrait l'Etat ont beaucoup aidé certains éditeurs, mais c'est occasionnel et cela ne fait pas profiter tous les acteurs du secteur du livre. C'est donc sur le fond qu'il faut travailler pour permettre à ce secteur de s'épanouir.