Cela fait un mois et demi que la mouture de la révision constitutionnelle est soumise à "enrichissement". Le sujet n'a pas suscité le grand débat attendu. Une partie de la classe politique a refusé carrément d'en discuter. Liberté a rencontré le président de la commission Ahmed Laraba et le rapporteur Walid Laggoune pour livrer leurs impressions. Au-delà des hommes et des femmes politiques et des personnalités qui participent au débat ou qui formulent des propositions écrites, les rédacteurs de la mouture de la révision constitutionnelle investissent, eux aussi, le terrain médiatique pour expliquer leur démarche, leurs choix. Pour cela, nous avons rencontré le président de la commission, Ahmed Laraba et le rapporteur, Walid Laggoune. Parmi les questions qui reviennent le plus, il y a celle de savoir pourquoi la commission n'a-t-elle pas pris en compte la revendication d'appliquer les articles 7 et 8 de la Constitution. "Il n'a jamais été question pour nous d'être une Constituante. Une telle assemblée ne peut être composée d'experts, de spécialistes", tranche ainsi Ahmed Laraba, qui rappelle que "le cadre du travail de la commission est la lettre de mission du président de la République. Lorsque le comité a été créé, il y avait la lettre de mission du président de la République qui fixait le cadre à l'intérieur duquel le comité d'experts devait poursuivre sa mission : les sept axes qu'il a énumérés". "La mise en place d'une Constitution peut se faire soit par une Assemblée constituante soit par la voie référendaire. Donc, les propositions de notre commission seront soumises à un référendum populaire. Et le peuple, sur la base des articles 7 et 8 va approuver (ou pas) la nouvelle Constitution. La volonté populaire évoquée dans les articles 7 et 8 peut être concrétisée à partir du moment où la Constitution est approuvée par un référendum", avance, pour sa part, Walid Laggoune. Cap sur les libertés Pour tenter de convaincre l'opinion, les deux responsables, rencontrés dimanche dans les locaux affectés par la présidence de la République à la commission de rédaction de la mouture de la révision constitutionnelle, situés sur les hauteurs d'Alger, vont plus loin. Ils expliquent qu'une Constitution ne se fait pas ex nihilo. Pour Walid Laggoune, "l'élaboration d'une Constitution peut se faire par le biais d'une Assemblée constituante. Mais cela peut se faire, également, par des touches continuelles. Quand vous voyez l'évolution de la Constitution en Algérie depuis 1963, vous vous rendez compte que nous avons des articles qui datent de 1963. Cela veut dire que les changements se font de manière graduelle, sous le contrôle des évolutions internationales et sous l'influence de la demande sociale. Nous sommes donc en train de mettre en place une Constitution d'étape (de conjoncture)". Les articles 7 et 8 "ont été consacrés, pour la première fois en 1963. Cette même loi fondamentale avait puisé certains de ses principes de la Constitution française de 1958. Avant d'expliquer des articles ou une loi, il faut aller à la genèse, à son origine", enchaîne Ahmed Laraba. "Une réponse à une demande sociale" Les deux hommes soulignent également que la rédaction d'une Constitution répond à une demande sociale et politique. "L'élaboration d'une Constitution se fait selon des facteurs. Le premier est la demande sociale, c'est l'exemple de tamazight. La question a été prise en charge suivant l'évolution de la demande, du combat de militants qui se sont battus pour cette cause", précise Walid Laggoune. Pour mieux expliquer la motivation d'une révision constitutionnelle, le professeur Laraba donne un autre exemple. "Objectivement, cette disposition pouvait par exemple être prise en charge dans la Constitution de 1996. Cela n'a pas été le cas parce qu'à ce moment-là, le mouvement de lutte contre la corruption dans le monde était naissant. Les choses ont radicalement changé au début des années 2000 parce que la société des Etats, pressée par le mouvement associatif et les citoyens, a consacré des conventions de la lutte contre la corruption. Cela est une revendication profondément hirakiste. Elle est donc prise en charge par non seulement les propositions de l'avant-projet de la révision constitutionnelle, mais également dans le préambule", argumente-t-il. Ensuite, le professeur de droit constitutionnel et expert international a rappelé le "caractère évolutif" des Constitutions de par le monde. "Lorsqu'on examine l'histoire de la protection internationale des droits de l'Homme. À partir de la déclaration des droits de l'Homme de 1948, On est parti d'un texte d'à peine une trentaine d'articles qui brassaient large. On est ensuite entré dans le vif du sujet. On a commencé par introduire les droits civiques et politiques, puis les droits économiques (…)", détaille Ahmed Laraba. Beaucoup ont critiqué la commission et les autorités au sujet du refus des propositions portant sur les questions liées à l'identité. "Des propositions liées à ces sujets sont rejetées", tranche, avec force, Walid Laggoune qui se désole que même "la question de la citoyenneté n'est pas encore réglée" dans notre pays. "Une Constitution est faite pour des citoyens et non pour des croyants. L'idée de la citoyenneté n'est pas encore admise. Vous pouvez être Algérien sans être Amazigh, Arabe ou musulman. Ce sont des équilibres précaires qu'il ne faut pas toucher pour l'instant", a-t-il argumenté. Les rédacteurs de la mouture de la révision constitutionnelle insistent sur le chapitre lié aux libertés. "Le temps où la Constitution se réduisait à l'organisation des pouvoirs publics est complètement dépassé, depuis longtemps", indique le professeur Laraba. Les deux juristes insistent sur le fait que le texte en cours insiste sur les libertés. "(…) prenons l'exemple de la liberté de la presse. Elle n'a été consacrée dans la Constitution qu'en 2016. Mais avant, il y avait la lutte des journalistes. Cette fois, nous avons pris soin de définir avec moult détails le contenu de la liberté de la presse, en imposant au législateur de ne pas toucher à l'essence de cette liberté quelles que soient les raisons. Un journaliste pourra se prévaloir de la Constitution pour obtenir ses droits. Cela n'a pas été possible en 2016", soutient Walid Laggoune qui ajoutera que pour l'application de la Constitution, il faut "un combat démocratique". Séparation des pouvoirs : plusieurs scénarios prévus Face aux critiques des acteurs politiques concernant la séparation des pouvoirs, Ahmed Laraba et Walid Laggoune rappellent qu'ils ont tenté de répondre à toutes les éventualités. Ils rappellent que le texte prévoit les deux cas de figure ; dans le cas où le chef du gouvernement élu est du même parti politique ou issu d'un parti de l'opposition. "Nous avons prévu deux cas de figure. Nous sommes dans une perspective évolutive où il pourra y avoir une autre majorité. Cela est prévu dans l'article 108 de la mouture. Cet article est une révolution. Le scénario d'une cohabitation est possible", indique Walid Laggoune. Mais l'homme refuse d'agréer l'idée que le texte donne beaucoup de prérogatives au président de la République. Pour le rapporteur de la commission, Laraba, le "président de la République n'est pas le chef du pouvoir législatif. Il a une fonction d'incarnation". La preuve ? Dans le Conseil supérieur de la magistrature, le président de la République a désormais "une fonction symbolique". "Le vrai président du CSM sera le président de la Cour suprême", insiste-t-il. S'ils défendent beaucoup de choix qui ont été adoptés dans le texte objet de débat, les deux membres de la commission estiment que certains axes peuvent être revus. C'est le cas de la proposition de créer un poste de vice-président. "(…) nous avons subi l'influence de ce qui s'est passé lors du mandat de l'ancien président. Il y a de tout dans le comité. Certains d'entre nous ont rappelé que lorsque l'ancien président est tombé malade, ce sont des forces extraconstitutionnelles qui se sont emparées du pouvoir avec les conséquences que l'on connaît. Si on avait un mécanisme comme le vice-président, on aurait évité cela", avoue Walid Laggoune. "Nous laissons donc la question au débat", tempère Ahmed Laraba qui révèle que des débats ont été "parfois âpres" entre les membres de la commission qui ont dû procéder par "vote" pour trancher certaines questions. "On s'est dit que nous ne sommes que des experts qui intervenons dans notre sphère qui est l'expertise juridique. Le reste, on l'a laissé au débat", a tranché le professeur Laraba. Il reste que malgré leur beauté, les lois sont souvent mal appliquées ou pas du tout. Les deux experts admettent que "les juges font une application restreinte des lois". Mais, "nous avons une démocratie naissante" qui devra être consolidée, selon eux. Et puis, contrairement aux reproches de beaucoup, le professeur Laraba estime qu'une Constitution doit "être amendée" constamment pour "répondre à la réalité" du moment. Il donnera comme exemple des Constitutions qui ont été révisées à plusieurs repises. "N'oublions pas que nous sommes dans un pays qui vit une ‘transition vers la démocratie'", tempère Walid Laggoune.