Deux semaines après le début de la campagne présidentielle en faveur de la “charte pour la paix et la réconciliation nationale”, qui sera soumise à référendum le 29 septembre prochain, ce texte suscite encore beaucoup plus d'interrogations qu'il n'apporte de réponses à des questionnements partagés. Et les discours du chef de l'Etat, parti au charbon prêcher les vertus de ce qui apparaît comme la panacée à la crise multiforme algérienne, dans lesquels l'ambivalence le dispute au flou, ne sont pas de nature à percer le mystère sur l'opportunité de l'entreprise, ni encore moins sur ses objectifs. Après avoir décrété l'interdiction d'activité politique aux “responsables des fetwas” qui ont appelé au djihad (guerre sainte), le président de la République vient d'inviter, solennellement, les dirigeants du parti dissous à revenir au pays. “Il y a des gens qui sont à l'étranger et condamnés par contumace. Ils n'ont pas commis de meurtres et sont en Europe ou en Amérique pour leurs idées politiques. Ils seront les bienvenus s'ils veulent revenir au pays. Je serai l'homme le plus heureux si le peuple algérien les reçoit avec du lait et des dattes (…)”, a-t-il déclaré lors du meeting d'Oran. On l'aura compris : l'invitation s'adresse aux anciennes figures du parti dissous à l'image de Rabah Kébir, réfugié en Allemagne, Anouar Haddam, qui avait revendiqué l'attentat du boulevard Amirouche et qui est réfugié aux Etats-Unis, Ahmed Zaoui, emprisonné en Nouvelle-Zélande, Mourad D'hina, réfugié à Genève, et Boudjelkha, réfugié en Malaisie, et les fils de Abassi Madani, actuellement dans un pays du Golfe, pour ne citer que les plus en vue. Au-delà du fait qu'il déjuge les décisions de la justice algérienne dont il est loisible d'apprécier le niveau d'indépendance, Bouteflika enfreint ainsi même… sa propre charte puisque celle-ci ne stipule aucunement la levée des poursuites engagées ou des condamnations prononcées contre les auteurs d'attentats à l'explosif dans des lieux publics, de crimes de sang ou de viols. Il est vrai que l'une des dispositions de la charte stipule “(…) l'abandon des poursuites judiciaires contre les personnes recherchées en Algérie ou à l'étranger ou condamnées par contumace et qui décideront de se présenter volontairement devant les autorités”. Il est à se demander, par conséquent, si l'invitation du chef de l'Etat aux condamnés de l'ex-FIS, qui s'appuie manifestement sur cette dernière disposition, ne vise pas à contourner la première selon laquelle tout responsable d'assassinat collectif, de viol ou d'attentat à l'explosif dans des lieux publics doit répondre de ses actes devant la justice. L'interrogation s'impose d'autant plus que certains parmi les “expatriés” du parti dissous ont été, à l'image de Rabah Kébir et des deux fils de Abassi Madani, condamnés à mort par contumace pour leur implication dans l'attentat perpétré le 26 août 1992 à l'aéroport d'Alger. Pour autant, les exilés de l'ex-FIS répondront-ils à l'appel de Abdelaziz Bouteflika ? Pas si sûr si l'on en juge par leurs réactions, plutôt mitigées, à la charte proposée par le chef de l'Etat.. Dès lors, on s'interroge sur les soubassements politiques de cette invitation à rentrer au bercail. Bouteflika cherche-t-il à courtiser la base de l'ex-parti dissous à travers ses anciens représentants ? À quelles fins ? Juste pour s'assurer son “oui” le 29 septembre ou pour la gagner à une cause encore tenue secrète et qu'il divulguera lors de l'une des “prochaines étapes” qu'il a évoquées à plusieurs reprises lors de ses meetings. Il faut savoir, en effet, qu'au regard de l'esprit de la charte, les anciens dirigeants du parti pourront jouir de tous leurs droits civiques et, qu'à ce titre, rien, du moins avant la promulgation d'autres lois, ne leur interdit l'exercice politique. À moins que Bouteflika, qui a reculé sur l'amnistie générale probablement sous la pression internationale, ne cherche, par le jeu d'ambiguïté dont lui seul a le secret, à susciter le maximum d'adhésions à son projet en attendant de prendre les mesures qu'il jugera nécessaires le moment opportun. KARIM KEBIR