Par : Dr MOHAMED MAIZ PRESIDENT DE LA FONDATION KRIM-BELKACEM Ce qui a été fait à ce pays et à ce peuple, aucune dictature, aucun système ne l'ont fait. À tant vouloir asservir et humilier un peuple, il arrive un jour à franchir le mur de la peur et retrouver son honneur et sa dignité. Le Hirak est le début de 00cette révolution pour la dignité. Je ne vais pas parler dans cette contribution du coronavirus mais bien de cette corona humaine qui a fait plus de dégâts, de morts, d'exilés et de laissés-pour-compte depuis l'indépendance et qui continue de sévir jusqu'à aujourd'hui. Mais je voudrais en premier lancer un message à tous ces nageurs en eau trouble, à tous ceux qui sont en train d'appeler à la révolte au lieu de la révolution, à la désobéissance au lieu de la mobilisation, à la rébellion au lieu de la discipline. Sachez que le peuple algérien ne suivra plus les sirènes et les discours enchanteurs et enflammés de personnes quel que soit leur engagement et qui se la coulent douce ici ou ailleurs. Nous sommes engagés pour le changement, un changement radical, mais avec des moyens pacifiques avec le souci de préserver notre peuple et notre pays. On ne veut plus de drames, de disparus, de terrorisés, de massacrés, d'assassinés ! Nous voulons et nous œuvrons pour une révolution tranquille et pacifique ! Cela a besoin de temps, le temps de l'union des forces du changement, le temps de la prise de conscience collective pour le changement, le temps du rassemblement et de la mobilisation ; nous sommes loin de ceux qui veulent tout et maintenant. Non et non ! Nous militons pour le changement mais pas pour n'importe quel changement. Nous militons pour le changement de système, de ses hommes et de ses pratiques, pour un idéal démocratique. Nous militons pour l'instauration d'une Algérie démocratique, celle du mérite, de la liberté sous toutes ses formes, une Algérie de l'espoir et de la justice, de l'honneur et du respect ainsi que de la dignité. Elle se fera mais elle se fera dans l'ordre et dans la paix. Le Hirak c'est cela ! Pourquoi le Hirak a réussi ce que les autres tentatives de mobilisation du passé ont échoué ? Depuis le 22 février 2019, le pays est entré dans une phase de crise politique jamais égalée. Le rejet de la cinquième mandature de Bouteflika et de la prolongation du quatrième a été une expression massive de cette mobilisation. Seulement une chose est certaine, la réussite de ce mouvement n'a été possible que par l'adhésion et l'implication en grand nombre de la classe moyenne, hommes et femmes. C'est là toute la différence avec les multiples tentatives de mobilisation et de mouvements de révolte de par le passé qui n'ont concerné que les couches populaires (ouvriers, chômeurs, laissés-pour-compte...). Le pouvoir avant le 22 février avait sous-estimé cette classe moyenne qu'il pensait avoir domestiquée, matée, corrompue et donc sans possibilité de réaction et d'engagement. Cette classe moyenne, à qui on faisait le chantage de la carte de vote et qui allait voter juste pour ne pas subir les foudres de la hiérarchie (première couronne du système), a trouvé en ce Hirak une opportunité et un moyen d'exprimer son mécontentement et de s'exprimer ouvertement et sans peur contre ce régime qui l'a murée dans le silence et l'immobilisme. Il est connu que les révoltes éclatent lorsque les classes moyennes se mettent à affronter les classes dirigeantes et c'est en grande partie cela le Hirak. Le 22 février a été le prélude de la fin du peuple "soumis". Le mur de la peur est tombé. Changer d'approche C'est un système qui a son chef d'état-major, son président, son gouvernement, ses ministres, ses élus (désignés), son armée, sa justice, sa police politique, ses walis, ses chefs de daïra, ses maires, ses partis, ses syndicats, ses associations, ses diplomates, ses islamistes, ses intégristes, ses démocrates, son club des pins, ses résidences d'Etat, sa Sonatrach, sa Sonelgaz, ses banquiers, ses conseillers, ses baltagias, ses menteurs, ses thuriféraires, ses prisonniers, ses cadres, ses intellectuels, et avec tout ça certains veulent changer le système en quelques semaines ! Le chemin est encore long, il faut juste maintenir la mobilisation et s'organiser. Malheureusement, ils sont nombreux ces intellectuels, ouvriers du régime, qui ont noyé leur conscience pour répondre à l'appel du mensonge. Ouvriers du régime, ils embellissent les mensonges les plus absurdes, se taisent sur les violations les plus flagrantes des lois et de la Constitution. Cette catégorie de personnes est encore plus nuisible et responsable du pourrissement dans lequel est arrivé le pays. L'élite, les intellectuels doivent changer leur approche et leur rapport avec le système et ses représentants, se défaire du souci d'eux-mêmes et ne se considérer plus comme l'avant-garde d'un pouvoir mais bien d'un peuple en quête de liberté et de dignité avec pour objectif : la démocratie est l'avenir du pays. La démocratie est un projet qui doit prendre corps dans cette nation qui a payé le sacrifice du sang pour se libérer de la servitude coloniale. Le Hirak est venu briser la fiction d'une rassurante harmonie systémique entretenue par plus d'un demi-siècle de mensonge institutionnalisé et d'injustices. Soudain mis à nu, le système est devenu une plaie et l'objectif est de s'en débarrasser sans s'y affronter. Silmiya, silmiya en est l'arme fatale. Je serais partial si je feignais d'éluder le rôle des partis politiques dans cette conjoncture cruciale pour l'avenir du pays. Les partis politiques, en participant à la feuille de route imposée par le système, ont choisi d'être les instruments du pouvoir, plutôt que d'être des machines à fabriquer l'espoir du changement, condamnant ainsi à la stérilité toute forme d'action politique autre que la forme partidaire. Il faut le dire, les partis qui se revendiquent de l'opposition et qui participent aux institutions du pouvoir sont parties prenantes de ce système qui les utilise comme façade démocratique. Rien n'a changé dans le fond En conséquence, nous assistons à la mise en place d'une nouvelle couche dirigeante dans l'orbite du système qui lui est liée et soumise, avec la caution des partis d'opposition ; cette nouvelle couche ou couronne dirigeante que l'on nous dit du changement succède en quelque sorte à la îssaba par la forme mais qui lui ressemble dans le fond. Seul l'exercice collectif de la liberté rend la fin du système possible. Cet exercice collectif, induit par le Hirak, le système l'a compris et le considère comme le vrai danger pour sa pérennité. Alors, pour les uns, le Hirak est béni, pour les autres, il les a libérés; ce ne sont là que des ruses et des subterfuges pour endormir le Hirak ! En même temps, les tentatives de division, les arrestations, les intimidations, la répression procèdent de cette volonté de casser cette dynamique collective et unitaire du Hirak pour mieux le maîtriser. Les incarcérations des citoyens, Bouregâa, Tabou, Boumala, Belarbi, Bouraoui, Hamitouche et autres ne sont qu'un procédé machiavélique pour essayer de détourner le Hirak de son vrai objectif. Le Hirak l'a dit et l'a répété à chacune de ses manifestations, il ne milite pas pour une représentation, mais pour la fin du système. Le 22 février a surgi alors comme l'apparition subite d'une possibilité de changement d'un ordre que les gens croyaient inaltérable et immuable. Un ordre qui a su se préserver et se maintenir par des procédés divers, allant de la répression, de la corruption à l'achat des consciences. À la fin des années 1990, encore une fois pour se préserver, le système rappellera l'homme qui devait prolonger sa vie avec le simple critère ; tenir la maison, la Casa d'El-Mouradia. Première grande erreur du système. Bouteflika n'était justement pas "un président stagiaire" mais un président rusé, machiavélique, dictateur et narcissique qui connaissait très bien les rouages et le fonctionnement du système, étant donné qu'il était parmi ceux qui ont pensé, conçu et organisé la mise en place de ce système derrière les lignes Challe et Morice, quand les combattants de la libération se faisaient bombarder, emprisonner, torturer et assassiner par la machine de guerre coloniale. Bouteflika a su, mandat après mandat, mettre en place un véritable pouvoir, régentant ses amis comme ses ennemis, les désignés comme les élus, procédant à des alliances conjoncturelles, militaires surtout, jouant la division des uns contre les autres, piégeant par la corruption civils et militaires, renforçant son pouvoir de l'extérieur par l'octroi de marchés mirobolants, usant du chantage de la décennie rouge ; tout cela a abouti à son renforcement et à l'affaiblissement du système. Ainsi, le pays devenait l'otage d'un couple : le couple système-pouvoir. Dire maintenant que le pouvoir de Bouteflika est tombé en ruine par l'incarcération de politiques, de militaires et d'hommes d'affaires qui lui étaient serviles et reconnaissants serait méconnaître la nature même de ce couple. Certes, le système s'est lézardé, s'est affaibli, sa première couronne paralysée, mais le noyau central, son ADN, reste toujours le maître des céans. Ainsi, durant deux décennies, l'argent du pétrole qui coulait à flots a permis à Bouteflika de corrompre et d'acheter des consciences à des fins de pouvoir absolu, de ce fait le pouvoir tenait à un seul homme avec la complicité du système qui laissait faire. Mais, ne nous détrompons pas, rien n'a changé dans le fond, le système se refait petit à petit, le rappel de son armée de conseillers du quatrième âge à la présidence et aux différents ministères en est un indice qui ne trompe pas et qui est la parfaite illustration de cette Algérie nouvelle pour le renouveau du système. Cette Algérie nouvelle, qui continue d'instrumentaliser la justice pour user du mandat de dépôt et du mandat d'arrêt contre des citoyens innocents pour des chefs d'accusation farfelus, comme porter atteinte au moral de l'armée! Ces juges aux méninges mal irriguées se font aujourd'hui le bras armé de ce régime en mal de légitimité. Atteinte au moral de l'armée, parlons-en ! Comment analyser et comprendre que pratiquement tous les chefs de sécurité de ce pays, sans les citer, se retrouvent en prison, ainsi que d'autres tous corps confondus et ils sont nombreux ? Est-ce porter atteinte au moral de l'armée que de dire que cette armée a été trahie par certains de ses chefs ? Non ! Bien au contraire, ce qui porte atteinte au moral de l'armée, c'est quand ces milliers de djounoud, de sous-officiers, qui servent leur patrie avec dévouement et abnégation, souvent au péril de leur vie, apprennent et voient comment certains de leurs chefs se sont comportés durant toutes ces années, les richesses qu'ils ont amassées, le pouvoir dont ils ont abusé et qui en fait n'étaient que de vulgaires affairistes et comploteurs. Combien de ces chefs se retrouvent en prison, d'autres en fuite et qui ont terni l'image de cette armée dont on dit héritière de l'ALN ? C'est cela qui porte atteinte au moral de l'armée, messieurs les juges ! Le mot de la fin, je le consacre à mes chers concitoyens pour leur dire que l'humanité à laquelle nous appartenons vit un moment crucial dans sa santé par cette pandémie de Covid-19. Soyons responsables, préservons notre santé et celle de nos proches et concitoyens. Nous reprendrons notre mobilisation sur le terrain sains et en bonne santé, car le chemin est long et sera parsemé d'embûches. Notre slogan "Yetnahaw gaâ" ne doit pas se transformer en "Netnahaw gaâ".