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"La Palestine n'a jamais été une priorité pour les régimes de la région" Salam Kawakibi, directeur du centre arabe de recherche et d'études politiques à Paris
Professeur et directeur du Centre arabe de recherche et d'études politiques à Paris, Salam Kawakibi décrypte dans cet entretien les répercussions sur la question palestinienne à la lumière des nouvelles alliances entre l'Etat hébreu et certains pays de la région. Pour lui, cette nouvelle configuration profitera à coup sûr à l'Iran qui, dit-il, "profitera habilement de cette situation pour se rapprocher de l'opinion publique arabe et ainsi regagner une certaine crédibilité en tant que force régionale anti-israélienne". Liberté : Le Bahreïn normalise ses relations diplomatiques avec Israël, emboîtant ainsi le pas aux Emirats arabes unis qui ont scellé leur entente au début du mois avec Israël. Quelles sont les motivations des uns et des autres ? Salam Kawakibi : Je préfère parler d'une alliance affichée plutôt que d'une normalisation. Les relations entre ces pays et Israël remontent à plusieurs années et elles se focalisent notamment sur les aspects sécuritaires. Ce sont des régimes en manque de légitimité et à la recherche d'une protection efficace. Cette crainte ne provient pas d'un ennemi étranger, réel ou imagé, comme l'Iran, mais plutôt de son propre peuple. De toute façon, ces "petits" pays savent mieux que quiconque que ni les Américains ni les Israéliens n'entreront en guerre avec l'Iran pour les défendre en cas de menace sérieuse. L'objectif de ces alliances reste, par conséquent, motivé par des considérations intérieures. Il est à signaler que le journal Le Monde avait exprimé son "étonnement" devant un oubli non négligeable dans la déclaration de ce "petit archipel" qui "n'inclut même pas de référence au projet israélien d'annexion en Cisjordanie, dont les EAU ont exigé la suspension en échange de leur reconnaissance". Quelles sont les implications de cette nouvelle entente sur la région ? L'Iran va profiter habilement de ce dévoilement d'un secret connu pour se rapprocher de l'opinion publique arabe qui, dans sa majorité, est contre la paix offerte à Israël sans aucune concession de cet état colonialiste en ce qui concerne les droits violés du peuple palestinien. Avec la répression systémique de son peuple contestataire et son implication sanguinaire en Syrie, au Yémen, en Irak et au Liban, l'Iran trouvera dans cette affaire une aubaine pour regagner une certaine crédibilité en tant que force régionale anti-israélienne (théoriquement du moins). D'un autre côté, Israël va presser les retardataires, afin qu'ils déclarent leurs bonnes intentions à son égard et surtout à l'égard de son gouvernement d'extrême droite qui ne cesse de développer l'extension des territoires occupés et de renforcer son blocus sur la plus grande prison à ciel ouvert au monde : la bande de Gaza. Finalement, l'axe contre-révolutions arabes va se renforcer : d'un côté, les EAU qui investissent des milliards dans des régimes militaires comme celui de Sissi et des guerres comme au Yémen et en Libye et, de l'autre côté, Israël qui connaît bien les dictateurs arabes et les apprécie à leur juste "valeur". Ainsi, elle sait très bien le niveau d'animosité au sein de la population arabe contre son occupation, colonisation et discrimination raciale à l'égard des Palestiniens. Dès lors, elle ne cherche aucunement à ce que ses "amis" dictateurs soient renversés par leurs peuples. L'annonce de cette nouvelle normalisation a été faite simultanément par les Etats-Unis et Israël. Quel est le rôle des Etats-Unis dans ce processus de normalisation israélo-arabe et quels sont leurs intérêts dans cette nouvelle configuration ? Il faudra plutôt parler du rôle de Donald Trump qui essaie de sauver les meubles quelques semaines avant l'élection présidentielle qui s'annonce très difficile pour lui. Même si les expériences précédentes nous ont appris que la politique étrangère ne fait jamais gagner des élections, notamment dans un pays comme les Etats-Unis où les citoyens sont très enfermés sur leur quotidien, Trump parie quand même sur le puissant lobby pro-israélien pour gagner des points et mettre toutes les chances de son côté, en pariant, surtout, sur les réseaux de l'extrême droite israélienne à Washington. La Ligue arabe semble s'être détournée de la Palestine en rejetant mercredi dernier un projet de résolution palestinien condamnant la normalisation israélo-émiratie. Pourquoi ? La cause palestinienne n'est-elle plus une priorité pour la Ligue arabe ? La Ligue arabe, qui est en mort cérébrale, physique et morale depuis presque sa création, ne fait que refléter les sentiments "sincères" de ses membres. Après avoir exploité la cause palestinienne durant des décennies, les régimes arabes dans leur majorité, à défaut d'être démocratiques et d'incarner les aspirations de leurs populations, feront tout pour rester sur leur trône. Cela a un prix. Et ce prix doit être payé à ceux qui peuvent assurer leur pérennité : les Etats-Unis et Israël. La question palestinienne n'a jamais été une priorité pour ces pouvoirs politiques en manque de légitimité. Au contraire, c'est un prétexte usé pour réprimer plus leurs populations et spolier encore davantage leur pays. Quelles sont les répercussions de ce processus de normalisation sur la cause palestinienne ? Malgré les répercussions négatives sur la cause palestinienne dans un court terme, cette nouvelle réalité doit inciter les Palestiniens, société civile et partis politiques, à réinventer leur lutte nationale et à la débarrasser de tous les parasites corrompus qui ont usé de sa légitimité. C'est un appel aussi à toute la jeunesse arabe révoltée contre la corruption et la répression dans plusieurs pays actuellement, afin qu'elle adopte réellement, et pas seulement dans le discours, la cause du peuple palestinien comme étant une cause centrale. La question de la liberté et de la dignité humaine ne peut être sélective.