La sentence prononcée hier par la cour d'Alger est tombée tel un coupret. L'annonce du verdict a provoqué la colère de la corporation et suscité une indignation générale au sein de l'opinion. Une journée triste pour la liberté de la presse en Algérie. La sentence est tombée tel un couperet dans une salle d'audience stupéfiée : Khaled Drareni est condamné, lors de son procès en appel à la Cour d'Alger, à deux ans de prison ferme pour "atteinte à l'intégrité du territoire national" et "incitation à attroupement non armé". Ses coprévenus, Samir Belarbi et Slimane Hamitouche, ont écopé d'une année de privation de liberté, dont huit mois avec sursis pour "incitation à attroupement non armé". Ils ont été relaxés pour le deuxième chef d'inculpation. Le fondateur du site électronique Casbah Tribune, 40 ans, a gardé une attitude stoïque au moment du prononcé du verdict. Il a été évacué précipitamment de la salle sous escorte de gendarmes, laissant derrière lui des confrères et des consœurs, les unes en pleurs, les autres en colère. Atterrés par un jugement, qu'ils espéraient nettement plus clément, ces derniers n'ont pu s'empêcher de crier très fort en direction du président de l'audience et de ses deux assesseurs : "Khaled Drareni est un journaliste libre." Sur le parvis de la salle des pas perdus, les clameurs dénonciatrices ne se sont guère émoussées. "Khaled Drareni sahafi, machi khabardji" (Khaled Drareni est un journaliste, il n'est pas informateur), ont répété inlassablement ses confrères et ses amis, pendant plusieurs minutes, avant d'être forcés à quitter l'enceinte du palais de justice par les agents de la Sûreté nationale. La foule a poursuivi sa protestation dans la rue. Des membres du Collectif de défense ont également été surpris par le jugement rendu. "S'il n'y avait pas eu l'interférence du président de la République et du ministre de la Communication dans cette affaire, il n'y aurait pas eu cette condamnation révoltante. C'est un scandale pour la justice", a déclaré Me Abdelghani Badi. Le chef de l'Etat a traité publiquement, sans le citer, le fondateur du site électronique Casbah Tribune de "khabardji", lui reprochant d'avoir rendu compte de son audition par les services de sécurité à un chancelier étranger, tandis que le ministre de la Communication, Ammar Belhimer, lui a dénié la qualité de journaliste au motif qu'il n'est pas détenteur d'une carte de presse. Assimilant le verdict de ce mardi 15 septembre à une sanction d'inspiration politique, Me Badi a pris à témoin l'opinion publique : "Nous sommes tous en danger, car nous ne sommes pas protégés par la justice." Le président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (Laddh), Me Nourredine Benissad, a eu du mal à trouver ses mots : "Je suis comme tout le monde sous le choc. Evidemment, en tant que Collectif de la défense, nous allons introduire un pourvoi en cassation tout de suite." Me Fetta Sadat a expliqué que les avocats du journaliste disposent d'un délai de 8 jours pour introduire un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême. Cette instance n'est tributaire, a contrario, d'aucun délai pour statuer sur le respect, ou pas, des procédures dans ce dossier. "La Cour suprême peut programmer l'affaire rapidement ou dans quelques années. Il se peut aussi qu'une requête de mise en liberté conditionnelle aboutisse, ou pas. Le sort de Drareni dépend, en fait, d'une décision politique", nous a-t-elle déclaré. La forte mobilisation, à l'intérieur du pays et à l'étranger, n'a pas suffi à libérer le journaliste. Hier, il est retourné dans sa cellule carcérale au centre pénitentiaire de Koléa. Impuissants devant le pouvoir judiciaire, journalistes, avocats, politiques et citoyens n'ont eu que la latitude d'exprimer une empathie avec Khaled Drareni et condamner, à leur tour, son incarcération. "Le jugement rendu par la Cour d'Alger dans l'affaire Khaled Drareni, Samir Belarbi et Slimane Hamitouche démontre la régression des libertés et la privation du droit de citoyenneté consacré par la Constitution en vigueur, et ce, à la veille de la révision unilatérale de ladite Constitution", a réagi à chaud Mohcine Belabbas, président du RCD. "La condamnation de Khaled Drareni à deux ans de prison ferme restera ancrée dans la mémoire et l'Histoire comme la plus odieuse instrumentalisation de la justice dans la gestion des conflits politiques et contre la citoyenneté", a-t-il poursuivi. "Solidaire avec Khaled Drareni, condamné à deux ans de prison pour exercice professionnel du métier de journaliste. Le chantage à la répression ne pourra jamais avoir raison de tout un peuple", a surenchéri Ali Brahimi, juriste et ancien député. "Pour le Parti des travailleurs, rien ne peut justifier la condamnation à une peine de prison d'un journaliste en relation avec ses activités professionnelles. Il exprime sa solidarité inconditionnelle avec Khaled Drareni et réitère l'exigence démocratique de sa libération, ainsi que celle de tous les détenus d'opinion", a affirmé Ramdane Taâzibt, cadre dirigeant du parti. "C'est un jour de deuil pour la presse algérienne", ont décrété de nombreux journalistes. Arrêté le 7 mars 2020 alors qu'il couvrait une manifestation de rue, Khaled Drareni est maintenu en garde à vue au commissariat central de la capitale, pendant trois nuits. Poursuivi pour atteinte à l'intégrité du territoire national et incitation à attroupement armé sur la base des articles 79 et 100 du code pénal, il est placé sous contrôle judiciaire. La chambre d'accusation près la Cour d'Alger a, néanmoins, ordonné contre lui, le 27 mars, un mandat de dépôt. Il a été incarcéré, le lendemain, à la prison de Koléa. Le 10 août, il est condamné, en première instance par le tribunal de Sidi M'hamed, à trois années de réclusion. Cette peine a été réduite à deux années fermes, hier, à l'issue de son procès en appel.