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LIVRE, LECTURE ET ECRITURE UN TRIPTYQUE EN DEVENIR
Contribution
Publié dans Liberté le 04 - 11 - 2020

Le Sila n'aura pas lieu cette année. Pour garder le lien entre écrivains, éditeurs et lecteurs, Liberté ouvre ses colonnes et leur donne la parole...
Par : RABEH SEBAA
SOCIOLOGUE
"Le paradis ne saurait être autre chose qu'une immense bibliothèque"
Gaston Bachelard
Toute manifestation consacrée au livre mérite encouragement. A fortiori lorsqu'elle s'universalise ou qu'elle tente de s'universaliser. C'est, sans nul doute, l'une des meilleures et rares intentions des initiateurs du Salon international du livre d'Alger (Sila). Cela ne justifie pas, pour autant, tout l'engouement consensuel, pour ne pas dire unanimiste, autour de ce salon, depuis l'annonce de son report en raison de la crise sanitaire.
Cet engouement enthousiaste, vantant les vertus de ce salon, rappelle étrangement les éloges adressés à un défunt dont les qualités, découvertes a posteriori, étaient jusque-là insoupçonnées ou ignorées. Pourtant, nul n'ignore que ce Salon international du livre d'Alger, initié à l'origine, et toujours piloté, par des instances officielles, avait pour finalité explicite, un double dessein à la fois politique et commercial.
Son inauguration en grande pompe, chaque année, par de hauts dignitaires, est la meilleure illustration de son caractère intouchablement officiel. Jusqu'au choix du lieu de sa tenue et la désignation discrétionnaire d'un commissaire, trié sur le volet, par les autorités publiques qui en font une manifestation à caractère solennel. Plus institutionnelle que sociale. Même si, dans l'imaginaire collectif, il s'est toujours et dès le départ, agi plutôt d'une foire du livre. Et pour le plus grand nombre d'une foire tout court. L'occasion d'une balade familiale, ou entre amis, dans une atmosphère de kermesse panachée, sans le moindre rapport avec le livre ou la lecture. Mais qu'on se hâte de comptabiliser comme des lecteurs potentiels, euphémiquement désignés par le qualificatif de visiteurs.
Cette éclipse forcée du Sila, pour cause de pandémie, est une excellente opportunité pour démystifier cette fausse aura, en se posant une triple interrogation, jamais sérieusement soulevée et encore moins débattue durant les différentes versions de ce salon : qu'est-ce qu'un livre ? Quelle forme d'écriture dans le futur ? Et quel devenir pour la lecture ?
Dans les "Fondements de la métaphysique des mœurs", Emmanuel Kant définissait, déjà, le livre comme à la fois un objet produit par un travail de manufacture mais également, comme une œuvre de la pensée qui demeure la propriété de celui qui l'a conçue (1). Les problèmes d'actualité autour du passage de la version papier à la version électronique s'incarnent dans cette relation complexe entre le livre comme objet matériel et le livre comme œuvre intellectuelle.
Le développement vertigineux de l'univers électronique a déjà bouleversé cette relation et bien évidemment bouleversé, par là même, la nature du rapport du lecteur à la textualité. +Comme on le sait, le livre est passé par trois grandes étapes, le volume sur papyrus (biblios) que l'on déroule au fil de la lecture, imposant une lecture linéaire. Celui du codex réalisé sur parchemin. Et enfin le régime de la tabularité où le contenu du livre ne sera plus désigné sous le terme générique de scripta, mais sous celui de texte. Le texte qui est la métaphore du tissage. Cette métaphore de tissage est très intéressante, car elle n'est pas sans rappeler celle de réseau et de toile.
L'araignée tisse bien sa toile. Internet l'a déjà bien brodée autour de la planète. Le régime tabulaire qui est en train de céder progressivement la place à l'hypertabularité avait, avant même l'existence ou la généralisation d'Internet, exercé une certaine fascination sur des philosophes qui ont travaillé sur plusieurs textes en simultané. Cela a été le cas notamment de Jacques Derrida, Barthes, Deleuze ou Foucault, dans différents écrits. Le type d'écriture, et donc la forme textuelle sous laquelle elle apparaît, n'est pas sans influer sur les modes de lecture. Car depuis l'invention de l'écriture, les pratiques de lecture n'ont cessé de changer. Le contenu sémantique de la notion de lecture également.
L'exemple des Moua'alaqt, auxquelles Jaques Berque a consacré un texte de référence, est, en l'occurrence, cette forme de lecture collective, qui s'est largement estompée dans l'ensemble des sociétés arabes (2). Ces dernières passent, comme on le sait, pour les sociétés qui accusent le plus grand déficit d'écriture et bien évidemment de lecture. Selon un rapport de l'Unesco sur la science (3), un citoyen du monde arabe lit en moyenne, une demi-page écrite par an contre dix ouvrages en moyenne pour un Anglais.
Ainsi l'irruption d'Internet dans les sociétés du sud va donc, partiellement ,bousculer nombre de leurs pratiques de lecture et d'écriture (4). Ce qui nécessite, par ailleurs, de revisiter sémantiquement nombre de notions comme acculturation, mimétisme, déculturation, tant les modes de communication nouveaux produisent de nouvelles influences sur ces comportements et se généralisent avec une rapidité déroutante.
Un rapport de l'UIT éclaire d'une manière saisissante la mutation numérique planétaire à laquelle nous assistons (5).
Ce rapport souligne que deux milliards de personnes dans le monde ont à présent un téléphone portable et révèle que les technologies numériques personnelles se développent à une vitesse croissante, bouleversant les structures économiques, sociales et culturelles. Le développement de la cyberculture exprime ainsi une mutation, voire une transmutation majeure, de l'essence même de la culture, au sens anthropologique du terme, c'est-à-dire dans les quotidiennetés et jusqu'aux vécus et aux ressentis. C'est ce que Pierre Levy appelle "l'univers sans totalité" (6). En effet, la cyberculture consacre la montée d'un universel différent des formes culturelles qui l'ont précédée en ce qu'il se construit sur l'indétermination d'un quelconque sens global selon l'auteur.
Pierre Levy donne d'ailleurs l'exemple le plus connu et qui nous intéresse en tant qu'universitaires en cette période d'enseignement à distance imposée par la pandémie Covid-19, c'est celui des conférences électroniques : ici on ne rencontre pas les gens principalement par leur nom ou par leur position sociale ou géographique, mais selon des centres d'intérêt, sur une carte du sens ou du savoir. Un nouveau régime d'écriture et de lecture se met en place. Aujourd'hui, le seul objet est l'ordinateur qui porte tous les types de discours, quels qu'ils soient et qui rend absolument immédiate la continuité entre les lectures et l'écriture. A propos de cette continuité, Michel de Certeau établit une distinction entre la trace écrite, fixée et durable et la lecture, qui est de l'ordre de l'éphémère (7).
Dans cette distinction, Michel de Certeau renvoie au lecteur qui "construit de la signification à partir de contraintes en même temps qu'il la construit à partir de libertés en braconnant".
C'est précisément ce braconnage, souvent désordonné, qui donne au grand nombre des usagers d'Internet l'impression d'être plus intelligents ou tout au moins plus informés, dès qu'ils sont connectés. C'est là précisément qu'apparaît le questionnement fondamental lié aux problématiques cognitives engagées par ces nouveaux supports et que le Sila, depuis sa création, ne s'est jamais donné les moyens de prendre en charge, malgré une pléthore bariolée de "communicants-conférenciers" tous azimuts, programmés à chaque session. Ces problématiques ont trait essentiellement à ces deux opérations cognitives que sont la lecture et l'écriture et qui sont au fondement du livre : la connaissance peut prendre bien des formes, selon les besoins et les moments mais le texte, au sens large du terme, demeurera son substrat incontournable.
Il n'en demeure pas moins que cette reconfiguration des espaces du sens est porteuse d'inquiétude, au sens philosophique du terme, et d'interrogations sur leur devenir. Car aux brisures économique, démographique et culturelle s'ajoute à présent la brisure numérique.
Nourrissant et approfondissant de nouvelles séparations et de nouvelles désagrégations. L'incommensurable effort des différentes sociétés, dans les années à venir, consistera à pouvoir octroyer une signifiance à la fois culturelle, cognitive et éthique à cette phénoménale transmutation technologique du livre et, partant, de la lecture et de l'écriture.

NOTES
1-Kant Emmanuel "Les Fondements de la métaphysique des mœurs". Editions Nathan, Paris, Septembre 1998
2-Berque Jacques "L'Islam au temps du monde". La Bibliothèque de l'Islam, Sindbad (1984), réédité 20 mai 2002. 277 pages
3-Rapport de l'Unesco sur la science, divulgué à Paris le 10 novembre 2010
4-Rabeh Sebaa in "Les socialités du Net en Méditerranée". (Coll.) Editions Karthala-IRMC, Paris octobre 2012
5- L'Union internationale des télécommunications, Internet Report Digital. Life novembre 2010
6- Levy Pierre "Qu'est ce que le virtuel ?" Paris, Ed La découverte. 1994, et "L'intelligence collective". "Pour une anthropologie du cyberespace", Paris, Ed La découverte 1995
7- Certeau (de) Michel, "Histoire de la lecture dans le monde occidental", Paris, Editions du Seuil. 1997


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