Il aura été jusqu'au bout un authentique maquisard. Sur le chemin de la dignité, il n'a jamais dévié. Il a survécu à la guerre de Libération nationale, dont il a été l'un des artisans. Face à la dictature, il a résisté vaillamment. Avec la jeunesse du 22 Février en quête de libertés, il a fait corps. Cette même jeunesse l'a porté au panthéon de la grande histoire. Adieu le héros. Quand l'ambulance transportant la dépouille de Lakhdar Bouregâa vers sa dernière demeure quitte la maison du défunt, à Hydra, jeudi, un cri s'élève : "Ya Chahid artah artah, sa nouwassilou ennidhal" (Ô martyr repose-toi, nous continuerons le combat). Il est aussitôt repris par la foule compacte venue rendre un dernier hommage au révolutionnaire qui a inscrit son nom au fronton de toutes les causes justes et de tous les combats libérateurs de sa patrie. Le peuple, dit-on, reconnaît les siens ! Les Algériens, parmi lesquels beaucoup de jeunes, viennent de le démontrer encore une fois, et de fort belle manière. Les messages émouvants qui pleuvent depuis l'annonce de son décès, mercredi 4 novembre, en hommage à "Âami Lakhdar", ne sont pas seulement le témoignage de révérence de tout un peuple au parcours exceptionnel du baroudeur des maquis durant la guerre de Libération. Ils sont une reconnaissance formidable à l'endroit d'un citoyen qui s'est engagé, après l'indépendance, pour une Algérie affranchie, juste, moderne et démocratique. Son engagement, en 2019, auprès de la jeunesse du Hirak, fera de lui une figure emblématique de ce mouvement populaire inédit dans l'histoire du pays. Né en 1933 à Médéa, Lakhdar Bouregâa rejoint l'Armée de libération nationale (ALN) à l'âge de 23 ans. Très vite, il sera surnommé par ses pairs "le baroudeur", en raison de sa grande bravoure, selon les témoignages de plusieurs de ses compagnons d'alors. Au maquis, il dirigera une compagnie de choc appelée la Zoubiria. Il devient chef de la zone II de la Wilaya IV entre 1959 et 1960, et sera l'adjoint du colonel Youcef Khatib, chef de la Région jusqu'à la fin de la guerre, en 1962. Opposant irréductible, combattant acharné de la liberté, Lakhdar Bouregâa s'insurgera contre le régime mis en place à l'indépendance de 1962 par l'armée des frontières. Il fonde avec Hocine Aït Ahmed, un autre chef de la révolution nationale, le Front des forces socialistes (FFS), qui sera le premier parti d'opposition de l'Algérie indépendante. En 1967, après une tentative de coup d'Etat mené par l'ancien chef d'état-major, Tahar Zbiri, Bouregâa sera arrêté par la police politique. C'est à partir de là que ce chef révolutionnaire subira les pires tortures dont il fera d'ailleurs le récit poignant dans ses mémoires, Témoin sur l'assassinat de la Révolution, paru aux éditions Dar Al-Hikma en 2010. Il est jugé et condamné par la "Cour révolutionnaire" à 30 ans de prison. Il sera libéré après 7 années de détention. Icône de la jeunesse algérienne En 2019, alors que l'ancien président de la République Abdelaziz Bouteflika s'apprêtait à rempiler pour un 5e mandat, le peuple s'est soulevé contre cet ultime affront commis par une caste prédatrice dont le seul souci était de perpétuer la prise du pouvoir vaille que vaille. Des millions d'Algériens sortent alors dans la rue dans des manifestations historiques. Bouregâa a entendu l'appel du peuple. Il a choisi son camp. Il n'hésitera pas à accompagner les Algériens dans la rue pour réclamer le changement. À 86 ans, chaque vendredi, il descendra la rue Didouche-Mourad dans la capitale avec ses concitoyens dans un mouvement de contestation populaire et pacifique qui forcera l'admiration du monde entier. Beaucoup parmi les jeunes Algériens, notamment, découvrent alors Lakhdar Bouregâa, et l'adoptent aussitôt. Dès les premiers mois du Hirak, le vétéran de la guerre de Libération incarnera la figure d'un homme intègre, épris de justice et de liberté. Un symbole est alors né et Bouregâa deviendra très vite une icône de la jeunesse algérienne. "Lakhdar Bouregâa a été la caution morale du Hirak. Par sa constance et son refus de toutes les compromissions, il a très vite constitué une des principales figures emblématiques du mouvement populaire du 22 Février. La jeunesse du Hirak a vu en lui une valeur sûre qui incarne l'idéal démocratique du peuple algérien", résume l'historien Amar Mohand Amer, contacté par Liberté. 4 mois après le début du mouvement populaire, Lakhdar Bouregâa sera à nouveau jeté en prison le 30 juin 2019. Il est inculpé d'"outrage à corps constitués" et de "participation à une entreprise de démoralisation de l'armée ayant pour objet de nuire à la Défense nationale". Une détention "honteuse" pour les Algériens qui n'ont pas compris comment on pouvait toucher à ce symbole de la résistance contre le colonialisme. L'homme de Novembre a payé cher ses critiques à l'encontre du chef d'état-major de l'armée, le général Ahmed Gaïd Salah décédé en décembre 2019, quelques jours après l'élection présidentielle du 12 décembre. L'arrestation du "héros" avait suscité une vive indignation. Il était devenu, depuis cette date, le symbole de tous les "détenus politiques et d'opinion" incarcérés en lien avec le Hirak. Pendant plusieurs mois, son portrait sera brandi par des milliers de manifestants. Le vétéran de la guerre d'Indépendance et figure de proue du mouvement de contestation pacifique ne sera remis en liberté que le 2 janvier 2019, après six mois de détention provisoire. Il décédera le 4 novembre dernier sans avoir vu se réaliser le rêve de millions d'Algériens aspirant à un changement véritable. "Lakhdar Bouregâa est désormais sous la protection d'Allah", a écrit, mercredi soir, son fils Hani Bouregâa. Le 21 octobre dernier, sa famille avait annoncé qu'il était atteint du coronavirus. Les hommages se sont aussitôt multipliés sur les réseaux sociaux. "Bouregâa nous a quittés. Il a donné sa vie pour sa patrie. Honorons-le en continuant son combat", a ainsi écrit un internaute sur son compte Facebook. "Un ami de la jeunesse. On retiendra de lui sa volonté de changer les choses pour une Algérie meilleure", renchérit un autre. "C'est un homme remarquable. C'est un Héros de l'indépendance qui n'est pas resté figé dans le passé", soutient un autre sur son compte twitter.