Ici, chaque famille est directement ou indirectement impliquée dans cette activité, qui assure un emploi, fut-il saisonnier. Dans la vaste plaine de Djimar (une localité à vocation agricole dans la commune de Chekfa, wilaya de Jijel), des serres de multiples produits, notamment maraîchers, s'étendent à perte de vue. Ici, chaque famille est directement ou indirectement impliquée dans cette activité, qui assure un emploi, fût-il saisonnier, à celui qui en est dépourvu. Entre des agriculteurs professionnels qui ont acquis la technicité et des moyens de production, aussi modestes soient-ils, et d'autres qui tentent tant bien que mal de s'en sortir avec le peu de moyens dont ils disposent, les contraintes sont multiples pour le développement de la filière agricole dans cette région. Même si des initiés soufflent que la surface agricole utile reste modeste à Jijel par rapport à d'autres wilayas à vocation agricole, il n'en reste pas moins que tout le long de la côte jijélienne, notamment du côté est, l'agriculture s'impose comme un atout non négligeable. De la filière maraîchère à la production de la fraise en passant par la toute nouvelle expérience de la culture de la banane sous serre, l'activité agricole peine cependant à amorcer l'essor escompté. Rencontré dans une exploitation à Djimar, Moad, un de ces agriculteurs ayant pignon sur rue, parle longuement d'un sujet qui le préoccupe : les "parasites" du secteur agricole. "L'agriculture est parasitée par des intrus qui n'ont rien à voir avec la filière", lance-t-il. "Allez voir du côté de ce village, il y a des gens qui ne travaillent pas à longueur d'année et ils surgissent juste au moment de la récolte pour rafler tout et revendre le produit au prix qui leur convient. Ils imposent leur loi au marché", fulmine-t-il, en visant directement les mandataires qui "régulent le marché selon leurs caprices". Dans son réquisitoire, il met en cause la démission de l'Etat dans la régulation de ce circuit et déplore surtout la non-réalisation d'un marché de gros des fruits et légumes, comme il est prévu depuis de longues années à Djimar. "Sans ce marché, les agriculteurs ne sortiront jamais de leur marasme, ils continueront à produire pour voir leur bénéficie profiter à d'autres", hurle-t-il. Qu'en est-il des facilités accordées par les pouvoirs publics aux agriculteurs en matière d'octroi de crédits ? Moad n'est pas particulièrement emballé par cette solution. "Je passerai mon temps à courir à gauche et à droite pour des documents à réunir, alors pourquoi le faire du moment que je peux me débrouiller pour avoir ce d'ont j'ai besoin", explique-t-il, en faisant allusion aux facilités que lui accorde le grainetier du village qui lui vend à crédit les produits phytosanitaires et les produits de semence. Ayant bénéficié d'une concession agricole, cet agriculteur de père en fils, comme il le souligne lui-même non sans fierté, s'en sort tant bien que mal dans son activité. Il affirme toutefois que les produits sont souvent bradés. Il cite l'exemple des choux et du chou-fleur, vendus souvent à 10 DA le kilo dans ces vastes champs. Idem pour le haricot vert au moment de sa récolte au mois de mai dernier, en le cédant à 50 DA, alors qu'à quelques dizaines de mètres de sa ferme, il est revendu aux abords de la RN 43 à 150 DA le kilo. "Cette grande marge bénéficiaire ne revient pas aux producteurs que nous sommes. Ce sont les intervenants qui en profitent", peste-t-il. Pour Moad, la seule solution est la réalisation d'un marché de gros, repoussée d'une date à l'autre, alors que ce projet date des années 1990. Il y a même un investisseur privé qui a voulu construire une telle infrastructure. Un marché de fortune Après plusieurs années de péripéties, ce projet a été tout bonnement décrété illégal par le wali. Lors d'une récente rencontre avec la presse, le wali Abdelkader Kelkel a rappelé le caractère illégal de ce projet, qui devrait être implanté sur une assiette de terrain aux abords de la RN 43, à Djimar, à proximité du village d'El-Kennar. Les démêlés avec la justice de son promoteur seraient à l'origine du sort qui lui a été réservé.Avec l'abandon de ce projet, c'est le rêve des agriculteurs de disposer de leur propre marché de gros pour vendre directement leurs produits qui s'évapore. En attendant que cette infrastructure voie le jour, c'est dans un marché de fortune, improvisé sur un terrain vague, au centre du village de Djimar, que les agriculteurs se rassemblent pour vendre leurs produits. C'est l'unique lieu qui rassemble les agriculteurs de la région et des intervenants de tous bords, sans pour autant assurer une marge de manœuvre appréciable aux producteurs pour écouler leurs produits dans les meilleures conditions. D'ailleurs, c'est au milieu d'un tas de déchets que ce marché se tient sans aucune intervention de l'APC qui "ne daigne même pas faire l'effort de l'aménager", comme le souhaitent ses habitués. Avec toutes ces péripéties, Moad émet le vœu de voir l'Etat intervenir avec plus de rigueur et de fermeté pour réguler la filière et le circuit de la commercialisation. Il déplore le fait que c'est seulement lorsque les prix de certains produits augmentent que tout le monde se met à crier. "Que les services concernés viennent d'abord voir dans quelles conditions la production se fait avant d'incriminer une quelconque partie", lance-t-il. "Dès que les prix augmentent tout le monde s'alerte et le ministre de tutelle réunit ses collaborateurs et interpelle les divisionnaires qui, à leur tour, saisissent les subdivisionnaires alors que le problème est ailleurs", rage-t-il. Un argumentaire que fait sien, indirectement, le grainetier du village qui fait part de la hausse des prix des produits phytosanitaires et déplore l'absence du marché dont rêvent les agriculteurs. "Depuis le mois d'avril dernier, c'est un renchérissement spectaculaire des prix qui a été constaté et ce n'est pas à cause de la pandémie du coronavirus, mais cela est dû à la dévaluation du dinar", précise cet intervenant dans la vente de tout ce qui a trait au circuit agricole dans la région. Ainsi, la dévaluation de la monnaie nationale risque de porter un coup fatal à la production. Absence de commandes, l'autre problème Non loin de là, s'étendent des champs dédiés à la production des plants de différents produits maraîchers. Des pépinières dans des serres sont l'œuvre de ces horticulteurs qui s'adonnent à un métier qui semble ne pas trop réussir. Ce n'est pas par manque de professionnalisme, mais en raison de multiples facteurs dont l'absence de commandes. Le comble est que ces horticulteurs n'ont que peu de rapports avec les agriculteurs locaux. "Nous vendons aux autres wilayas, notamment de l'Est, nous avons des commandes de Mila, Guelma, Constantine, Tarf, Annaba", confie l'un de ces horticulteurs, rencontré sur les lieux. Louant des terres auprès de propriétaires de la région, cet horticulteur montre des quantités de plants jetés, qui n'ont pas trouvé preneur. "Je préfère les jeter que de les vendre à crédit", dit-t-il. Pourquoi ? "De nombreux agriculteurs de la région croulent sous des dettes qu'ils n'arrivent pas à rembourser. Alors pourquoi les accabler de mes dettes", explique-t-il. Selon lui, ces pépinières produisent jusqu'à un million de plants toutes variétés confondues. Après cette virée dans ces pépinières, incursion chez les producteurs de la fraise. Depuis quelques années, la production de ce fruit a connu un certain développement de part l'engouement affiché par les agriculteurs à cette filière. Contraints d'abandonner l'activité maraîchère pour cause de multiples difficultés, des agriculteurs ont, en effet, fait leur reconversion pour se spécialiser dans la production de la fraise. Et cela réussit bien pour certains. C'est du moins ce qu'affirment ces deux frères qui exploitent quelques hectares dans la production sous serre de la fraise. Depuis quelques années, ils sont leaders dans ce domaine à Jijel en décrochant les premiers prix dans la filière, à l'occasion de la fête dédiée à ce fruit. En raison de la pandémie du coronavirus et du confinement, cette fête n'a pas eu lieu cette année. Cette contrainte n'a pas empêché ces spécialistes de la fraise à continuer à produire. Ils se sont même orientés à la culture des plants qu'ils importaient de l'étranger. C'est ce qui permet d'économiser des devises et permettre à d'autres producteurs de s'approvisionner en plants auprès d'eux. L'année passée, la filière est tombée en crise en raison de la baisse des quantités de plants importées, qui, après avoir été de 15 000 unités ont chuté pour atteindre 5000, selon le président de la Chambre du commerce. Après quoi, une dernière descente chez les producteurs de la banane. Depuis quelques temps, des agriculteurs locaux tentent l'expérience de produire de la banane sous serre. La filière est nouvelle et ses promoteurs comptent bien réussir leur expérience. C'est du moins ce qu'espère l'un d'eux, qui affiche un certain optimisme en faisant part de commandes lui provenant de plusieurs wilayas du pays, y compris de Tamanrasset. Une seule serre peut lui donner au minimum 30 kg, et dans ses champs il compte plus d'un millier de plantes. Contrairement aux autres agriculteurs de la région, lui ne se plaint pas des moyens de commercialisation de son produit qui, explique-t-il, "trouvera preneur à la faveur des commandes reçues, au prix du marché". La relance de cette filière dans la wilaya de Jijel est le fait d'un groupe de producteurs bénéficiaires des dispositifs d'Ansej et de la Cnac. La production est attendue pour le mois de décembre.