Par : Cherif Ali Ancien cadre supérieur "Les secousses ne sont pas évitables, car elles sont imprévisibles et la seule protection réside dans les normes parasismiques des constructions et des plans Orsec à mettre en place." Pas moins de 15 séismes ont secoué notre pays cette année. Plus d'une quarantaine d'autres secousses entre 4,8 degrés et 3 degrés ont été enregistrées à travers toute la planète. Ces secousses ne sont pas évitables, car elles sont imprévisibles et la seule protection réside dans les normes parasismiques des constructions et des plans Orsec à mettre en place. Il y a un petit peu plus de 30 ans, Haroun Tazieff, le vulcanologue français avait alerté sur le danger représenté par les constructions sauvages, le long du littoral algérien. Personne n'avait voulu écouter cet éminent expert étranger passé ministre et décédé depuis, qui séjourna en Algérie juste après le séisme d'El-Asnam, pour y donner quelques conférences sur l'origine des tremblements de terre et la manière d'en limiter les dégâts, notamment humains, sachant qu'on ne peut pas, dans l'absolu, les prévenir. Si l'on avait pris compte de ses recommandations, ont dit certains, le bilan des victimes des séismes de Boumerdès en 2003 et d'Alger en 2014, aurait été, peut-être, moins lourd. Mais comme on dit, à chaque chose malheur est bon et un chroniqueur l'a affirmé récemment "malgré les dégâts, les séismes ont cet avantage, ils révèlent souvent les contradictions des constructions humaines, celles de l'échafaudage des bâtiments ou celles de l'explication magique". Le séisme qui s'est produit dernièrement à Skikda ne serait pas, hélas, le dernier à en croire le professeur Loth Bonatéro qui nous prédit un automne et un hiver des plus agités ; il vient dramatiquement, mais opportunément rappeler le péril imminent qui menace toutes ces populations du vieux bâti des Casbah d'Alger, de Constantine, ou encore de Annaba, d'El-Hamri et Gambetta d'Oran qui ont dû, très certainement, ressentir, dans leur tête et leurs tripes, l'onde de choc de ce séisme de la capitale. Elles survivent toutes dans ces quartiers populaires où jadis, il faisait bon vivre mais aujourd'hui, ce sont des lieux funestes où des familles entières étouffées par les grabats de leurs immeubles et la bêtise humaine rendent l'âme, entre deux tremblements de terre, une inondation et surtout le sentiment d'avoir été abandonnées par ceux-là mêmes qui avaient la responsabilité de les prendre en charge et de les secourir. Et ce n'est pas faute pour elles de les avoir alertés sur la précarité de leur situation et du péril planant sur leur tête. Avec ce nouveau séisme et c'est le premier constat à faire, tout ce que l'Algérie compte comme responsables est rappelé à la réalité : des spécialistes s'accordent à dire que le fait que l'épicentre soit situé en mer a sauvé des dizaines et des dizaines de ces vénérables, mais néanmoins vulnérables immeubles de l'affaissement ! La précarité de ces habitations d'Alger et d'ailleurs a atteint un seuil alarmant : le parc immobilier national, selon les professionnels, est constitué de 7 millions de logements dont 1,5 million d'unités menaçant ruine ! De plus il diminue, inexorablement, suite aux catastrophes naturelles et se réduit aussi par la faute de l'occupant qui néglige l'entretien de son habitation, qu'elle lui soit propre ou qu'elle relève du patrimoine public. L'absence d'entretien, les attaques climatiques additionnées aux adaptations décidées de manière unilatérale par les occupants qui, non seulement, s'approprient les espaces communs, mettent aussi en péril la vie de leurs colocataires en s'autorisant, pour certains, des constructions illicites sur les terrasses, au vu et au su de tout le monde, élus locaux compris, ajoutent à la précarité du vieux bâti. On l'aura compris, il ne suffit pas aujourd'hui prétendre régler la crise du logement en construisant des nouvelles cités, il y a aussi urgence à assurer la maintenance de ce qui existe déjà. Il est important de comprendre que tout logement ou équipement a une durée de vie et qu'il est sujet, périodiquement, à une usure qu'il y a lieu de prendre en charge dans le cadre d'un programme concret de survie et de réhabilitation avait souligné le Collectif national des experts architectes (CNEA) dans son livre blanc révélé en 2011. Le président de cette instance a affirmé que "l'appréciation de la qualité esthétique des bâtiments et leur réhabilitation exige compétence, dextérité, professionnalisme des intervenants". Le CNEA avait proposé alors, la création d'un "carnet de santé du bâtiment" ainsi que la mise en place "d'un fond national de l'amélioration de l'habitat et le lancement d'un programme de réhabilitation d'un vieux bâti". À croire que le responsable de ce collectif prêchait dans le désert puisque les choses sont restées en l'état dans nos villes usées et ravagées par tant de catastrophes naturelles et leurs lots de morts et de blessés. Au lendemain de ce séisme de Skikda, dont les dégâts ont été surtout matériels, allons-nous encore une fois assister au remake des décisions prises à la hâte par les autorités suite aux inondations de Bab El-Oued et du tremblement de terre de Boumerdès et qui ont consisté en quelques opérations de relogement décidées au pied levé et du colmatage et du rafistolage d'immeubles pour dire aux citoyens qu'on s'occupe d'eux ? Nos responsables à tous les niveaux sont, décidément, passés maîtres des efforts d'annonces sans lendemain et des mesures en trompe-l'œil ! Hérité de la colonisation, le vieux bâti fait peur ; il fera encore couler beaucoup de larmes, d'encre, de peinture, de plâtre, de promesses et d'argent facilement gagné par ces "bricoleurs" s'improvisant entrepreneurs en bâtiment ! Alger, Oran et d'autres villes n'en peuvent plus de leur décrépitude et le séisme de Skikda est une sérieuse alerte selon le professeur Loth Bonatéro ; il ne sera, malheureusement pas, le dernier. Et à ce dernier de s'insurger contre ce qu'il a appelé "le problème de compétences humaines dont souffrirait le Centre de recherches en astronomie, astrophysique et géophysique de Bouzaréah (Craag), doté pourtant des meilleurs équipements possibles". Le professeur A. Chelghoum, l'autre spécialiste, vient de le déclarer : "Le pays regorge d'experts, y compris dans la sphère privée, qui ne demandent qu'à être associés dans cette crise. Il est temps pour les pouvoirs publics de déclencher une opération sérieuse d'expertise globale de tous les vieux bâtis, ce qui permettrait d'aboutir à une opération de réhabilitation, de renforcement ou de confortement selon les résultats de chaque expertise." L'ignorance fait plus de dégâts dans un pays où l'acquisition d'une culture sismique aurait dû se faire jour depuis le tremblement de terre d'El-Asnam. Le dernier séisme – et l'affolement qui s'est ensuivi – s'est révélé, en définitive, plus meurtrier que le tremblement de terre en lui-même. Des personnes peuvent mourir parce qu'elles voulaient survivre. Dans un moment de folle panique, elles sont amenées à se défenestrer, et le professeur Khiati de la Forem l'a bien expliqué : "La peur dans ce genre de circonstances est tout à fait légitime, même si elle peut être contenue et structurée. Un séisme, lorsqu'il se produit, dans un laps de temps et durant cette période, l'individu ne contrôle plus ses réactions, encore moins ses gestes. Il est désemparé parce que tout simplement il n'a reçu aucune formation dans ce sens."Si les Algériens étaient sensibilisés sur les procédures à respecter en cas de tremblement de terre, ils ne chercheraient pas l'issue fatale, poursuit l'expert. En fait, tout le monde est responsable et personne n'est coupable dans cette affaire, ni l'école, encore moins la Protection civile, qui auraient pu, pour le moins, prendre quelques initiatives utiles ! Au Japon, il y a 30 à 40 séismes par an, mais cela ne suscite ni panique ni affolement, car les Japonais sont éduqués, formés et sensibilisés pour faire face à ce phénomène naturel. Dans ce pays, les experts et la population s'attendent depuis des années au "Big One !", un tremblement de terre aussi important que celui qui a touché le pays en 1923, faisant plus de 140 000 victimes. Le gouvernement nippon a mis en place un programme d'exercices de prévention. Entraînés depuis l'enfance, les Japonais savent qu'ils doivent couper l'électricité, l'eau et le gaz et se précipiter sous une table, dès la première secousse tellurique. Au cas où ils se retrouveraient prisonniers des décombres, certains ont pris des kits de survie pour tenir jusqu'à l'arrivée des secours, et les écoliers disposent d'un casque de protection dans leur casier ; pour vous dire, nos d'écoliers ne disposent même pas de casiers ! En 2009, près de 800 000 personnes dans le pays, dont le Premier ministre, ont participé au grand exercice annuel et national de prévention, à la date anniversaire du grand tremblement de terre de 1923. Régulièrement, les camions de simulation sismique sont installés dans les rues dans le but de sensibiliser la population aux effets du tremblement de terre. Notre de camion a été étrenné une ou deux fois, avec force caméras, et depuis, on ne l'a plus revu ! Le Japon a le système d'alerte le plus évolué dans le monde même s'il n'est pas parfait, mais un bâtiment a plus de chance de s'écrouler si les responsables locaux ont triché sur les matériaux de construction pour récupérer de l'argent au passage, a indiqué un journaliste. Ce type de scandale s'est, notamment, produit en 2008, après le séisme de Suichuan en Chine, qui avait entraîné la destruction de plusieurs écoles. Cela s'est aussi produit chez nous à Boumerdès, où des cités flambant neuf se sont affaissées comme des châteaux de cartes. On n'a jamais retrouvé les boîtes noires, et les responsables courent toujours. Le séisme frappe et la bêtise tue et tuera encore si des enseignements ne sont pas tirés du dernier séisme : 1- Il faut procéder à la destruction de tous ces immeubles périlleux pour disposer dans certains quartiers urbains d'"aires de rassemblement" pour les habitants, au cas où d'autres immeubles menaceraient de s'écrouler. 2- Il faut tout revoir des normes de constructions parasismiques non pas pour arriver au niveau du Japon où les édifices sont montés sur vérins, ressorts, rails ou roulements à billes et soutenus par des amortisseurs ou haubans, ce qui leur permet de faire face aux catastrophes naturelles, mais pour au moins faire respecter les dosages de béton et rendre obligatoire le permis de construire ! 3- Il faut tout revoir au Craag, au CTC, chez les entreprises de réalisation. 4- Il faut redynamiser cette "Délégation aux risques majeurs" en lui confiant plus de prérogatives, notamment en matière réglementaire. 5- Il faut être, dorénavant, exigeant en matière de qualité des produits et équipements destinés à l'habitat. 6- Il faut revoir tous les programmes des écoles de formation et exiger une remise à niveau de tous les professionnels qui sont sur le marché de l'architecture et de l'urbanisme. 7- Il faut engager une véritable politique de réaménagement du territoire, oublier les projets mort-nés des pseudo-villes nouvelles de Sidi Abdellah et de Boughzoul et construire des villes modernes où il fera bon vivre avec de grands espaces de rassemblement, des aires de stationnement et de loisirs. Il y a tellement de choses à faire qu'on ne sait plus, en fait, s'il faut donner la priorité à la révision des plans Orsec ou, et c'est l'un des enseignements majeurs résultant du tremblement de terre de Skikda, changer ces responsables qui ont prouvé leur incompétence à prendre en charge ne serait-ce que le vieux bâti d'Alger, d'Oran et d'ailleurs, car, comme il a été affirmé par un éditorialiste, "ce sont eux l'épicentre du problème".