Liberté : Le ministre des Finances a annoncé que l'Etat envisage d'ouvrir le capital de deux de ses banques à travers la Bourse en 2021. Quels sont les préalables nécessaires à la réussite d'une telle opération qui, faut-il le rappeler, avait été évoquée en 2015 sans que la procédure soit concrètement lancée ? Souhil Meddah : Il faut rappeler qu'avec des institutions de taille aussi importante, dont le capital nominal serait, par exemple, de 20 milliards de dinars ou plus, une ouverture minimale de 20% sur le marché principal devra mobiliser 8 à 10 milliards de dinars en valeur nominale pour une valeur en admission de 3 à 4 fois plus. C'est-à-dire que les levées de fonds seront aux alentours de 24 à 40 milliards de dinars répartis entre agents (grand public) et autres épargnants institutionnels. Certains préalables se rapportant à trois sujets essentiels, doivent faire l'objet d'une attention particulière. Le premier concerne le montage financier de cette ouverture du capital qui, de mon point de vue, doit impérativement se mettre en concordance avec les conditions conjoncturelles liées aux disponibilités des liquidités et l'intéressement des investisseurs potentiels. Les mesures de prudence sont très importantes, même dans les cas les plus optimistes. Le second préalable porte sur la structure concernée par l'ouverture du capital social. Il est important dans ce cadre d'orienter les études d'opportunité sur une ou plusieurs branches d'activité plutôt que sur le seul capital de la banque. Il serait ainsi intéressant, par exemple, que l'opération d'ouverture du capital porte également sur la mise en place d'activités de leasing, capital-equity ou de la finance islamique, car il devient très intéressant et utile de miser sur des fonds en mudarhaba à travers un marché financier des participations. Le troisième sujet concerne l'impératif de réalisme dans les perspectives, à savoir sur les projections futures de mobilisation d'épargne, de rendement et de maîtrise des valeurs en portefeuilles. Du reste, la capitalisation boursière de ces établissement financiers doit également aboutir à un volume de valeurs transigées très dynamique et très liquide. Pour ce faire, il faut que le niveau de l'épargne soit capable de se maintenir et de se multiplier dans la durée, tant il est vrai que la valeur boursière importante tirée sur le marché primaire deviendra encore plus importante une fois sur le marché secondaire.
Les prêts improductifs et les créances sur les grandes entreprises publiques et privées minent les bilans des banques publiques. Leur privatisation en Bourse, partielle ou totale, n'est-elle pas conditionnée par l'apurement de ces bilans ? Les prêts improductifs sont en partie la résultante de la politique de l'investissement social à travers les bonifications exagérées. Les financements des projets d'investissement obéissent aussi bien à des règles de prudence qu'à un système de financement adossé à une réserve fractionnaire. C'est-à-dire que la valeur créée en crédit à l'actif du bilan d'une banque doit avoir sa contrepartie dans un autre compte au passif du même bilan (méthode des multiplications des valeurs). Ce système multiplicateur de valeurs transigées ne doit pas garder dans son actif les valeurs non solvables ou celles toxiques. Dans ce sens, une opération d'assainissement via un compartiment interbancaire indépendant devient nécessaire pour pouvoir absorber ces affectations. Ce compartiment sera chargé d'absorber et de solder toutes les valeurs toxiques et insolvables, en contrepartie d'une correction des valeurs de l'actif des banques primaires concernées et de leurs fonds propres. Pensez-vous que la Bourse est en mesure de capter l'épargne des ménages et des investisseurs en ces temps de crise à la fois financière et de confiance, d'autant plus que la dernière tentative de levée de fonds sur la place boursière d'une entreprise publique, la cimenterie d'Aïn El-Kebira en l'occurrence, s'était soldée par un échec cuisant ? L'opération d'ouverture du capital de cette cimenterie s'était heurtée à une autre problématique. D'abord, l'ouverture portait sur une valeur, à l'époque, trop lourde, soit 19 milliards de dinars. L'opération était intervenue juste après celle de Biopharm (6 milliards de dinars), et presque simultanément avec le lancement de l'emprunt national de croissance qui avait permis de lever 480 milliards de dinars. Dans le cas des deux banques publiques proposées à une ouverture du capital via la Bourse, la question de l'épargne sera encore plus compliquée à appréhender dans ce contexte de baisse de la liquidité à l'échelle nationale. Cette ouverture du capital est d'autant plus complexe à gérer car de telles opérations ne se font pas habituellement en temps de crise mais pendant une phase de redéploiement, d'investissement ou de relance. Il est très difficile de miser sur un apport important de l'épargne. Les conditions actuelles incitent à limiter les risques stratégiques et de crédibilité sur les ressources.