Y a-t-il réellement une mainmise islamiste sur le Hirak comme l'allèguent certaines voix hostiles au mouvement populaire, lesquelles s'appuient dans leur assertion sur des mots d'ordre scandés lors des marches du vendredi ? "Ces slogans sont un épiphénomène", répond le sociologue Nacer Djabi. Le retour des marches du Hirak, après une année de veille imposée par l'irruption de la crise sanitaire, semble avoir désarçonné le pouvoir qui, visiblement, ne sait comment s'y prendre pour tenter de brimer un mouvement avec lequel, il faudra désormais compter. Toutes les manœuvres visant à casser l'élan de la révolution pacifique, avec son lot de répression et de condamnations, n'ont pas entamé la détermination des citoyens à aller au bout de leur mouvement. Et c'est dans ce contexte que la polémique éclate sur l'influence, fausse ou avérée, de certains courants islamistes sur l'évolution des slogans scandés lors des marches, notamment de vendredi dernier. Y a-t-il réellement une mainmise islamiste sur le Hirak, comme l'allèguent certaines voix proches du pouvoir ? Dès vendredi soir d'ailleurs, le ton est donné. Une déclaration prêtée à des "sources sécuritaires" anonymes et pointant du doigt des slogans scandés lors des marches, "hostiles à la voie nationaliste, devenus la marque déposée d'un mouvement interdit et d'adeptes d'un parti dissous", est lue au JT de 20h. L'allusion au FIS et au mouvement Rachad est claire comme de l'eau de roche. Comme cela a été constaté, certaines pancartes et slogans entonnés ou portés par des manifestants confirment l'influence de ces courants dans certains carrés. Mais cela nous autorise-t-il à affirmer que le mouvement populaire est soumis à une manipulation outrancière des résidus du FIS dissous ? La réponse à cette question est venue du Hirak lui-même. L'incursion de ces slogans a, en effet, été vivement dénoncée par les hirakistes eux-mêmes, qui n'ont pas hésité à rejeter un discours et des mots d'ordre qui n'ont rien à voir avec la révolution pacifique du peuple algérien. Certaines figures, à l'image de l'avocat Réda Doghbar, ont d'ailleurs tout de suite resitué les termes du débat. "Nous avons demandé le changement de régime, pas la chute de l'Etat. Nous avons demandé la liberté pas la dissolution de l'armée", a-t-il tonné. Son message a été lu, commenté et partagé des dizaines de milliers de fois. Pourtant, pour d'autres acteurs du Hirak, ce qui s'est passé vendredi est tellement marginal qu'il n'y a pas de quoi polémiquer. Pour Fethi Gharès, coordinateur national du Mouvement démocratique et social (MDS), "le peuple n'a qu'un slogan : ‘La démocratie'". Pour lui, les slogans scandés contre les services de renseignement sont "justifiés par la torture" dénoncée par certains militants, à l'image de Walid Nekkiche. "C'est le pouvoir qui sème la confusion", dira-t-il, tout en ajoutant que "c'est le pouvoir qui pousse les manifestants à scander ces slogans en torturant, en tentant de diviser les Algériens". Pour Fethi Gharès, "les Algériens ont appris les leçons des années 1990. Ils détestent le terrorisme et ne tomberont jamais dans le même piège". À la question de savoir si les islamistes ne tentent pas de récupérer le mouvement, le responsable politique est formel : "Celui qui veut diviser, va se casser les dents." Tout comme Fethi Gharès, le sociologue Nacer Djabi, également figure du Hirak, estime que ces slogans sont "un épiphénomène". "Les slogans des islamistes sont naturels pour un mouvement aussi vaste, aussi large et non structuré", précise l'universitaire, qui évoque "de petits groupes structurés qui écrivent, scandent des slogans qu'ils filment et diffusent en masse pour faire croire à leur mainmise sur le mouvement". Nacer Djabi rappelle que cela ne reflète pas "la grande masse" des manifestants qui ne sont pas forcément visibles. Mais il ne nie pas la possibilité de voir ces groupuscules tenter de récupérer le mouvement populaire. "C'est pour cela que nous devons opérer un saut qualitatif dans nos slogans, notre organisation et notre stratégie."