Livrés à eux-mêmes, sans aucun moyen d'approvisionnement en vivres, les soldats de l'expédition du cardinal Ximenes finiront par épuiser tous les sacs de grains et de semoule que leur intendance avait stockés. Et puis, comme les naufrages à la dérive sur l'océan, arriva le jour où les provisions vinrent à manquer. Il ne restait au cuistot de service qu'un tas de pois chiches auquel personne n'avait pensé et des œufs. Pour calmer la faim de ses camarades dont quelques-uns se tordaient de douleur, le chef imagina un plat fourre-tout où il ferait bouillir tout ce qu'il avait à portée de main, à défaut de soupe et de viande de porc. La ratatouille ainsi obtenue — mélange de pois chiches et d'œufs — sera servie aux Caballeros dès sa sortie du four, c'est-à-dire très chaude, d'où son nom de “caliente”, qui signifie brûlante. Et c'est ainsi par le détour d'un pur hasard que naîtra la calentita. Les Oranais l'appelleront calentica, les Tlemcéniens calen. Mais personne, évidemment, ne pouvait imaginer que cette mixture de guerre allait résister au temps pour devenir indémodable. Elle est aujourd'hui, dans les grandes agglomérations du nord du pays, le plat du pauvre, le trompe-faim des chômeurs et des démunis. Curieusement, cette calentita n'existe pas en Espagne. Elle n'est ni fabriquée, ni commercialisée ni même répertoriée comme recette typiquement ibérique. Une chose est sûre : elle fait vivre actuellement des centaines de familles. À Oran, des fortunes importantes se sont construites grâce à elle. Pour la petite histoire, les vieilles familles de Mostaganem rompent le jeûne par un morceau de calentica. Le lait et les dattes viennent bien après. M. M.