Le gel, depuis le 9 septembre dernier, des importations de la poudre de lait a mis les transformateurs devant une situation compliquée. Les perturbations dans la production vont, forcément, engendrer de graves répercussions sur l'offre des produits laitiers sur le marché. La Cipa appelle les autorités à agir avant qu'il ne soit trop tard. Les propriétaires de laiterie menacent de fermer leurs usines à compter du 31 décembre. Ils ne peuvent plus maintenir leur production à cause de leur situation financière intenable. N'arrivant plus à faire face à la hausse vertigineuse des prix des matières premières, notamment de la poudre de lait, ces entreprises sont au bord de l'asphyxie. Ces chefs d'entreprise tirent la sonnette d'alarme et en appellent au ministère de l'Agriculture et du Développement rural afin de trouver des solutions en urgence. Sinon, ils opteront indubitablement pour l'arrêt de leurs activités, avec toutes les retombées socioéconomiques qui en découleront, dont la mise au chômage de 70 000 travailleurs. "La décision des pouvoirs publics de maintenir le soutien du lait pasteurisé en sachet au prix de 25 DA est acceptable pour peu qu'ils revoient le soutien des prix en amont de la production, qui ne cessent d'augmenter", déclare le président de la Confédération des industriels et producteurs algériens (Cipa), Abdelwahab Ziani. En effet, les matières premières connaissent une hausse ininterrompue sur les marchés internationaux. C'est le cas de la poudre de lait affichée à 600 DA le kilo il y a à peine trois mois et qui avoisine de nos jours les 800 DA. Ce sont en fait les quelques quantités restantes des importations réalisées par des opérateurs privés avant que la décision des dérogations sanitaires soit instaurée par le ministère de l'Agriculture. Idem pour le sac en plastique avec lequel est conditionné le lait pasteurisé (LPC) subventionné à 25 DA, vendu précédemment à 1 DA et qui a augmenté à plus de 3 DA. Avec la hausse de tous les intrants, le prix de revient réel du LPC d'un litre est estimé à 31 DA. Cependant, il doit sortir d'usine à 23,35 DA pour être vendu à 25 DA. "Qui va payer ce différentiel ? Qui va supporter toutes ces augmentations ?" s'interroge M. Ziani. Les laiteries ne peuvent plus continuer à produire. Depuis plus de six mois, elles travaillent à perte. Leurs stocks en matières premières sont épuisés. Leurs propriétaires sont conscients de l'obligation de mettre sur le marché des quantités suffisantes de lait pour la consommation des populations. Or, ce changement dans les structures des prix les a sérieusement ébranlés. D'ici à la fin du mois, les laiteries n'auront plus de ressources pour s'approvisionner en poudre de lait et autres intrants afin de pouvoir produire. Car elles ont subi beaucoup de pertes et risquent de se mettre en faillite. Les trois grandes usines qui fabriquent le lait en tétrapack ont accusé le coup. Si Soummam tourne à moins de 50%, de ses capacités, son voisin, Candia, a carrément arrêté la production. Des usines qui tournent à 50%, d'autres ont fermé Toutes ces perturbations dans la production vont engendrer forcément des répercussions sur l'offre en produits laitiers sur le marché. Le risque d'une pénurie de ces produits alimentaires, notamment au mois de Ramadan prochain, est bien réel. Le manque de lait UHT (tétrapack) commence d'ores et déjà à se faire sentir sur les étals, indique le responsable d'une laiterie implantée à Sétif, lors d'une réunion qui a regroupé jeudi les producteurs adhérents de la Confédération. Pour cela, des solutions doivent être trouvées et mises en application dans l'immédiat afin d'éviter tout arrêt de la production. "Il y a une semaine, nous avons pris attache avec le ministre de l'Agriculture. Nous lui avons proposé que tous les acteurs de la filière se mettent autour d'une table pour traiter de cette problématique et de réfléchir profondément sur des solutions pérennes et qui arrangent tout le monde", affirme le président de la Cipa. "Nous allons suggérer, lors d'une prochaine rencontre, des solutions en leur montrant le véritable prix de revient du litre de lait en sachet chez les producteurs." Outre cette solution, Abdelwahab Ziani insiste sur la libération des dérogations sanitaires qui interdisent toute importation de poudre de lait. Il précise que les dérogations sanitaires sont gelées depuis le 9 septembre dernier. En dépit de l'annonce faite par le ministre de tutelle ayant trait à la levée du gel à partir de dimanche dernier, "les services concernés par l'application de cette mesure de dégel, affirment ne pas avoir reçu d'instruction dans ce sens", regrette-t-il. Cependant, le délai d'importation d'une marchandise depuis la Nouvelle-Zélande, par exemple, est évalué à trois mois. "Nous avons déjà perdu un mois et demi. Un mois de perdu de l'année 2022 et la marchandise ne pourra, par conséquent, arriver avant mars prochain. Entre-temps, les producteurs ont épuisé tous leurs stocks", constate M. Ziani. "Les laiteries doivent s'approvisionner en matière première, faute de quoi, elles seront obligées d'arrêter leurs activités", souligne, de son côté, le représentant de la société Soummam. "Si les pouvoirs publics ne prennent pas en compte nos doléances rapidement, l'on assistera d'ici à mars prochain, à une inévitable rupture de produits laitiers sur le marché. La situation sera encore plus délicate car notre entreprise approvisionne, outre les commerçants, les écoles, les hôpitaux, les casernes et autres institutions", avertit ce cadre. "Pourquoi ont-ils gelé les dérogations d'importation ? Appréhendent-ils les transferts illicites de devises à travers ces opérations ?" se demande, pour sa part, le patron de l'usine de Draâ Ben Khedda. Risque de pénurie de produits laitiers Très au fait de la filière lait et en fin connaisseur du métier, il soutient mordicus que le recours à l'utilisation du lait cru dans la production du lait subventionné n'est pas opportun pour le moment. "Les acteurs de la filière ne sont pas encore prêts pour une telle option. Nous vivons régulièrement des problèmes avec les éleveurs. Les quantités collectées sont souvent insuffisantes... Bref, il faut reconnaître que le pays a échoué dans la politique qu'il a réservée à la filière lait", relève le propriétaire de l'usine de Draâ Ben Khedda, qui demande aux pouvoirs publics de changer le fusil d'épaule et de mettre en œuvre, entre autres décisions, une stratégie propre au développement de la sous-filière lait cru. Partageant son avis, des producteurs mettent l'accent sur la nécessité d'investir dans les vaches laitières et la production d'aliments du bétail pour se passer de l'importation de lait en poudre. Pour réaliser un tel objectif, il faudrait que le pays recèle 1,4 million de vaches laitières alors que l'on n'en recense que 400 000 actuellement, souligne M. Ziani. Pour répondre à la demande nationale, l'Algérie recourt à l'importation de la poudre. Si l'on lance des investissements de l'ordre de 500 millions de dollars dans l'élevage des vaches laitières, l'on obtiendra plus de deux millions de bêtes et l'on pourra atteindre l'autosuffisance en matière première durant les trois prochaines années. L'on doit assurer, pour ce faire, plus de 250 000 tonnes de concentré d'aliments du bétail produit sur une surface irriguée de près de 100 000 hectares. Ce n'est pas encore le cas actuellement car en 2021, la production de la filière lait a dépassé les 3,4 milliards de litres, dont seulement 900 millions de litres de lait de vache produits localement. Entre-temps, la consommation de lait ne cesse d'augmenter en Algérie ; elle atteint 167 litres/an/habitant contre une moyenne mondiale de 87 l/an/habitant. La Cipa compte saisir le ministère des Finances, la semaine prochaine, dans le but d'examiner les possibilités de dégager les financements nécessaires pour ces investissements. C'est avec de telles perspectives que l'on développera une base de production locale pouvant couvrir la consommation et diminuer les importations de lait. L'autre solution préconisée par le président de la Cipa est de lever les subventions généralisées du lait, de les cibler et de les réorienter vers les plus démunis.