"La poésie ne s'édite pas. Et alors ? La poésie est en nous." (Hamid Nacer Khodja) À l'actu poétique, il y a la nouveauté de Youcef Merahi intitulée sur quelle corde poser le doigt ?, parue à Apic éditions (2021). Si fidèle à la rime, l'auteur a, au cours de trois chapitres, excellé dans le choix de ses thèmes, où le style de l'auteur rayonne dans le réalisme de la vie de tous les jours. Autre argument à l'esthétique du recueil, l'illustration des poèmes au trait de l'artiste-journaliste Tighilt Kouceïla. Conséquemment à ces raisons, les vers de Youcef Merahi tournoient telle une farandole au-dessus de la table d'harmonie de sa guitare et le poète ne sait dans quelle frette du manche où poser le doigt. Esthète qu'il est, "le funambule" ne sait à quelle corde se vouer ou pincer pour préluder de la vibration qui s'accommode à chacun de ses "bris de mémoire". Et plutôt que de rythmer les cordes au mediator, le poète use de la douceur de l'arpège pour en extraire une succession de notes qui ornementent au mieux l'éloquence de ses vers qu'il y traîne au pied tels des boulets d'un passé mi-figue mi "coquelicot". Debout "dans la campagne dépouillée de verdure" où il a l'envie d'un "amour d'une mère à déterrer", Youcef Merahi "cris en papier" à l'ami Djamel Amrani (1935-2005). Il l'abjure de ne pas lui fermer les yeux et laisser ce soin à sa terre. C'est à croire qu'il a fait sienne la recommandation : "La vie est un torrent, le temps passe et passe incessamment" de l'écrivain danois Søren Kierkegaard (1813-1855). Et depuis, "il ne nomme plus les jours ni qu'il ne les compte, puisqu'il consomme la vie qu'il épice goulûment à "vivre" tout simplement "au lieu de rêver". Autrement, "L'amour ne dure qu'un moment" et le poète s'interdit "d'aimer à la manière d'autrui". À cet égard, le poète parle de l'amour qu'il voue à sa "Mère ô mère" qui brûle dans la déchirure de l'aède qui déclame depuis l'abysse de son âme : "Aucune science. Ne saisit ton regard. Aucune géométrie. Ne précise ta douleur. Aucun rêve. Ne profile ton sourire. La mémoire est vide. Que des abysses". C'est dire la place qu'occupe la femme dans l'itinéraire poétique de Youcef Merahi et qui désordonne sa mémoire : "Hizzya" de Mohamed Ben Guittoun, l'ode à Elsa de Louis Aragon (1897-1982), Nusch Eluard (1906-1946), Noura, Zivka, Hayat, Mathilde de Jacques Brel (1929-1978), Fatma, Abla et Ouiza. Et dans le chapitre "rien d'autre Être" il y a également Matoub Lounès, puis les morts d'At Douala, de Guernica et de Sarajevo qui endolorissent le cœur de l'auteur. Outre ces faits, il y a aussi l'inventaire des lieux qui meublent la mémoire de Youcef Merahi, à l'instar d'Oran l'infidèle et Tamanrasset. Autant dire que dans le "silence sépulcral" de l'absent-présent, le recueil de poèmes de Youcef Merahi interroge d'un clin d'"œil intérieur" son "jumeau" qui n'était autre que l'Être de Lumière qu'était Hamid Nacer-Khodja (1953-2016), dont il n'a de cesse de pleurer sa "fin imminente" ici-bas bien entendu. Reste que l'œuvre de Youcef Merahi s'inscrit dans l'intemporalité des gens qu'il a côtoyé à l'instar de l'ami Moh Ben Ali et du repoussant Bou Ch'kara qu'il fustige. Et à ceux qui allèguent que la poésie ne se vend pas, Youcef Merahi oppose la maxime du regretté Hamid Nacer Khodja, "la poésie ne s'édite pas. Et alors ? La poésie est en nous". Belle revanche sur le mercantile.
LOUHAL Nourreddine "Sur quelle corde poser le doigt ?" de Youcef Merahi, éd, Apic 2021, 97 pages – 600DA.