Dite dans un langage d'écorché vif, l'œuvre de Merahi reste profondément humaniste. La lecture de ce Cri en Papier n'en sera que confirmation. En quête d'émotions puissantes, de sensations abyssales, de questionnements dérangeants sur l'existence ? Puisez dans le tourbillon poétique du Cri en Papier, de Youcef Merahi, paru en 2016 aux éditions Apic, avec des illustrations bien inspirées de Tighilt Koceïla. Le voyage tumultueux conduit à l'amour, source d'extase et de souffrance inexorable, à l'ivresse de l'insaisissable et à la douleur du vrai. Le seul mérite du poète est de chercher à la maîtriser. Pour percevoir le bonheur derrière elle ou pour jouir en la faisant durer ? Allez comprendre ce qui se passe dans les méandres de la vie qui irriguent le cœur en l'étranglant. Rêve, mort, amour, suicide, résistance, folie : les mots s'alourdissent de sens antagoniques, d'expressions incitatrices et de cris de délivrance. Avec Youcef Merahi, c'est comme dans l'écume des chutes du Niagara ou au cœur d'une violente tornade dans les plaines américaines qui soulèvent les sentiments les plus lourds, les projettent dans l'espace obscurci avant que, éreintés, ils s'abandonnent au mouvement de leurs poussières qui viennent bousculer la terre. C'est le face-à-face implacable entre l'appel de la mort et le chant de la vie. C'est la puissance de l'esprit et la tendresse extrême du cœur qui "rêve de se fondre en toi au fond de ton nombril". L'auteur se revendique éternel funambule qui "chasse sur un fil ton ombre rebelle". Tout ne tient qu'à un fil : la vie, la frontière entre la raison et la folie, entre l'amour et la souffrance, entre le rêve et la réalité. Mais la pire des choses, pour lui, est de se retrouver dans un âge sans rêve. L'évocation de la mère dans un mélange de respect, d'amour et de douleur crée un malaise que seul la rage de vivre – pour perpétuer l'œuvre des poètes bénis – permet de sublimer. Doit-on peupler les cimetières pour être reconnus d'utilité publique ? Non, proclame le poète, la haine cédera devant l'amour, la bêtise devant la raison. Et le chant se poursuivra, y compris pour un peuple. "Ce pays gaulé par la violence de transe, en transition je le crois capable d'espoir. Ecoute-moi Tahar, ils ont beau tenter le meurtre du Soleil. Sur tous les trottoirs d'Algérie malgré tout, la lumière afflue vers l'intelligence altière. Quel est donc ce peuple qui ne chante plus son pays ?", peut-on lire. Malgré ce mythe des quatre points cardinaux qui fit de lui un funambule au vertige immense, même si on a fait de son poème "ces cris en papiers" et de sa langue cette source désordonnée, le poète accomplit sa mission avec courage et motivation, car il sait que les rêves se moissonnent après tant de chants. On a beau chercher dans la vie, il n'y a que le poème à trouver. Né en 1952 à Tizi Ouzou, Youcef Merahi est poète, écrivain et journaliste à l'œuvre aussi prolifique que polygraphe, comme il la qualifié lui-même. Il ne rate jamais l'occasion de rendre hommage à ses aînés qui ont été le ferment de sa vie : Djamel Amrani, Bachir Hadj Ali, Mouloud Feraoun, Jean Sénac, ainsi qu'à des amis comme Tahar Djaout et Hamid Nacer Khodja... Dite dans un langage d'écorché vif, l'œuvre de Merahi reste profondément humaniste. La lecture de ce Cri en Papier n'en sera que confirmation. ALI BEDRICI Recueil de poésie Cri en Papier, de Youcef Merahi, éditions Apic, 110 pages, 2016.