La rivalité politique en Libye n'oppose plus deux régions (l'Est et l'Ouest), mais deux visions inconciliables de sortie de crise, elles-mêmes résultats de nouvelles alliances politiques et tribales qui peuvent conduire le pays vers une reprise des combats armés. La Libye se retrouve, depuis jeudi et de nouveau, avec deux gouvernements parallèles, après la désignation par le Parlement de Fethi Bachagha au poste de Premier ministre à la place d'Abdelhamid Debeiba, dont la mission devait s'achever avec la tenue de l'élection présidentielle reportée du 24 décembre dernier. Chargé de former un nouveau gouvernement, l'ancien ministre de l'Intérieur du gouvernement d'union nationale a été élu à l'unanimité par le Parlement exilé à l'est du pays, dont le mandat est officiellement achevé depuis 2018. "Le Parlement vote à l'unanimité la confiance à Fethi Bachagha comme chef du gouvernement", a indiqué le porte-parole du Parlement, Abdallah Bliheq, à l'issue d'une séance à Tobrouk (Est). Mais Abdelhamid Debeiba a affirmé déjà mardi, lors d'un entretien accordé à une chaîne de télévision locale, qu'il resterait en place jusqu'à la tenue des élections, pour lesquelles il avait été désigné dans le cadre du processus onusien de sortie de crise issu de la Conférence de Berlin de janvier 2020. Et il revient au Conseil d'Etat de le laisser en place ou de le démettre, a-t-il expliqué à Libya Al-Ahrar, proposant une nouvelle feuille de route pour les élections. "Je n'accepterai aucune nouvelle phase de transition ou autorité parallèle", a averti M. Dbeibah mardi dans un discours télévisé, en affirmant que son gouvernement intérimaire ne remettrait le pouvoir qu'à "un gouvernement élu". M. Debeiba dénonce aussi ce qu'il a qualifié de chantage de la part du président du Parlement, Akila Salah, qui lui aurait proposé de retirer sa candidature de la présidentielle, en contrepartie de son maintien à la tête de l'actuel gouvernement, qui avait affiché sa volonté de rester en place avant même la décision finale du report du scrutin. Depuis quelques semaines, les lignes politiques ont bougé de manière significative en Libye. Car, la rivalité politique en Libye n'oppose plus deux régions (l'Est et l'Ouest), mais deux visions inconciliables de sortie de crise, elles-mêmes résultats de nouvelles alliances politiques et tribales qui peuvent conduire le pays vers une reprise des combats armés. Pour rappel, Abdelhamid Debeiba et Fethi Bachagha sont tous les deux originaires de l'Ouest libyen et chacun d'eux a derrière lui des groupes armés qui le soutiennent. M. Bachagha, qui appartient à la puissante région de Misrata, au rôle-clé dans cette crise, a négocié avec Akila Salah et le controversé général à la retraite Khalifa Haftar cette nouvelle alliance qui n'a pas encore livré tous ses secrets, mais qui bouleverse tous les équilibres politico-tribaux en cours jusqu'au 24 décembre dernier. Et cela n'est pas sans inquiéter la communauté internationale qui avait déjà alerté contre un retour de la Libye à la case départ, le pays ayant déjà connu deux gouvernements parallèles, celui de l'Union nationale de Fayez Al-Serraj à Tripoli (soutenu par l'ONU) et celui de l'Est, basé à Benghazi que dirigeait Abdellah Al-Theni. Tout en appelant les parties libyennes à l'union et surtout à se mettre d'accord sur l'issue de cette crise, l'ONU a tranché en réaffirmant son soutien à l'Exécutif dirigé par M. Debeiba. "Nous avons vu les informations sur la nomination d'un autre Premier ministre. Notre position reste inchangée", a affirmé jeudi aux médias le porte-parole de l'Organisation, Stéphane Dujarric, estimant que "les dirigeants libyens doivent s'unir pour se mettre d'accord ou se remettre d'accord sur la voie à suivre". Pour sa part, l'Italie a estimé, par la voix de sa vice-ministre des Affaires étrangères, Marina Serini, que "le report des élections en Libye a ouvert une phase politique complexe qui manque actuellement d'une perspective électorale claire", notant que "l'actuel gouvernement intérimaire fait face à une pression croissante", selon l'agence de presse italienne Aki. L'Egypte a réagi aussi aux derniers développements en Libye, affichant son inquiétude mais estimant que "la solution est entre les mains du seul peuple libyen, sans ingérence et sans diktat étrangers". Une position partagée par les Etats-Unis, qui essaient de jouer un rôle plus accru dans le processus de sortie de crise dans ce pays, après avoir observé pendant longtemps un certain recul, tout en menant des opérations militaires chirurgicales contre des cibles terroristes importantes en territoire libyen. Par ailleurs, la représentante de l'Union européenne pour la région du Sahel, Emanuela del Rey, a estimé dans une interview accordée à un journal italien que les deux prochaines semaines seront décisives en Libye. Mais elle avertit contre l'idée de la programmation d'une nouvelle élection pour juin prochain, si le nouveau gouvernement de transition venait à être formé sans difficulté.