L'affaire l'opposant à la SPA Prodeval est grave. Il serait inconcevable de se taire, après une première décision donnée par le Conseil d'Etat favorable au jeune industriel Lounis Bouzerd qui se bat depuis près de 7 ans pour obtenir gain de cause face à une lourde machine bureaucratique. Cet exemple illustre encore une fois le non-respect par l'administration, la justice et le ministère de tutelle des principales recommandations du chef de l'Etat quant à la relance de l'investissement privé national et la lutte contre la corruption. En attendant que cette affaire connaisse son épilogue, la chancellerie est interpellée pour régler cet imbroglio, afin de permettre à l'entrepreneur de redémarrer son activité. Le 2 janvier, les ouvriers de Prodeval ont observé un sit-in réclamant au ministère des Finances une commission d'enquête sur la gestion de cette entreprise qui n'a pas connu un début d'activité (vendue depuis 2001 dont l'acte est bloqué au niveau de la Conservation foncière de Dar-El-Beida). L'affaire des anciens locaux de l'Opgi de Dar-El-Beïda (dans une partie louée à un industriel du nom de Lounis Bouzerd, qui est devenue au fil des années “l'affaire Prodeval”, n'a pas fini de susciter des interrogations. Tout a commencé en effet en 1998 lorsque deux élus dont l'un (issu de l'APC d'Alger-Centre) est devenu p-dg de cette entreprise sont à l'origine de la création de la SPA Prodeval, qui n'a jamais connu un début d'activité, laissant les ouvriers livrés à eux-mêmes, les incitant à céder cette société. Le comble est que cette SPA est devenue une Eurl Prodeval promotion immobilière (depuis 2001) alors qu'à l'origine, cette entreprise devait produire du lait tel que stipulé dans le registre du commerce. Outre le fait que le contentieux du parc roulant (qui a été vendu sans que les ouvriers n'aie signé un document ni perçu de l'argent) n'est pas encore réglé, il faut savoir que les ouvriers n'ont cessé d'interpeller le ministre des Finances pour une commission d'enquête. Mais l'affaire remonte à 1996, lorsque le jeune entrepreneur, Lounis Bouzerd, loue une surface de 960 m2, dans la commune de Mohammadia, proche de cette entreprise publique, l'Edied, pour se consacrer à son projet de montage électronique et de fabrication de mobilier de bureau. Un contrat de location du terrain et de locaux lui est alors remis en bonne et due forme par l'Office de promotion et de gestion immobilière (Opgi) de Dar-El-Beïda. L'année suivante, l'Edied est dissoute, pour être cédée au profit des travailleurs. Ces derniers, au nombre de 52, décident de créer une société par actions (SPA) de production et de développement alimentaire : Prodeval. Seulement, l'inclusion, par l'agent évaluateur des Domaines, du terrain occupé par M. Bouzerd, projettera dès lors ce dernier dans les arcanes du monde judiciaire et ses ouvriers dans la rue. “L'agent évaluateur des Domaines a commis une erreur à ce moment-là. J'ai dû demander une enquête auprès des services des Domaines d'Alger, laquelle enquête a reconnu l'erreur”, explique Lounis Bouzerd. Quant à l'Opgi, opposé à la vente de ses biens en raison notamment de l'ampleur des arriérés impayés (environ 363 millions de centimes) par l'ex-Edied, il a soutenu et continue à déclarer que les 960 m2 et les locaux ont été loués à l'industriel Bouzerd. L'enquête est cependant classée sans suite : les services des domaines n'ont pas réagi… Un dossier, deux expertises contradictoires Frustré par la tournure prise par les événements et se sentant lésé dans ses droits, Lounis Bouzerd a dû recourir à la justice, à partir de 1998, avec l'espoir de se remettre bientôt au travail : l'expert foncier, dépêché sur cette affaire, lui donnera raison en 2001. Pourtant, la situation ne fera qu'empirer après la vente, la même année, de la SPA Prodeval à un particulier. Une société qui se transformera en Eurl et qui se spécialisera dans la promotion immobilière. Comble de l'ironie, les anciens actionnaires organiseront le 2 janvier 2006 un sit-in pour réclamer le matériel de l'ex-SPA Prodeval, qui s'élèverait à 1,6 milliard de centimes et comptent ester en justice les anciens gestionnaires. En 2004, la seconde expertise ordonnée par le Conseil d'Etat sera, cette fois, en faveur de la SPA Prodeval, alors que la société n'a plus d'existence juridique. Conscient que les lois algériennes lui donnent la chance de se faire écouter, Lounis Bouzerd demande une 3e expertise. Mais, contre toute attente, le Conseil d'Etat rejette sa demande et ne lui laisse comme voie de recours que l'hypothétique “rétractation”. En termes plus clairs, le Conseil d'Etat, que l'on peut qualifier à juste titre de sommet de la justice, s'est limité à une seule version et rendu un arrêt en faveur d'une fiction, coupant en quelque sorte l'herbe sous les pieds d'un justiciable qui, faut-il le rappeler, a déjà eu gain de cause quelques années auparavant. Pour certains observateurs, parmi eux des hommes de loi, la décision du Conseil d'Etat a été hâtive, sinon partiale, car dans le cas de deux expertises diamétralement opposées, il aurait fallu initier au moins une nouvelle expertise pour se faire une idée plus juste et plus précise du problème posé. D'ailleurs, la jurisprudence va dans ce sens, aux fins d'imposer l'image d'une justice à l'écoute et au service du citoyen, quel qu'il soit, qu'il ait raison ou non. Dans une lettre datée du 20 décembre dernier, Me Baya Kitoune, l'avocate de M. Bouzerd, interpelle le ministre de la Justice et lui demande l'ouverture d'une enquête. Selon elle, l'affaire en question comporterait “des irrégularités ou des erreurs commises (…) qui sont suffisamment graves, pour interpeller notre conscience, notre loyauté et notre volonté très forte de préserver nos institutions, pour qu'elles restent saines et au service d'une justice impartiale, juste et conforme à l'idée que l'on a de la légalité et de l'Etat de droit”. Me Kitoune relève, en outre, qu'après plusieurs années de procédures, l'affaire dont elle a la charge est enfin soumise au contrôle du Conseil d'Etat, qui est “l'ultime recours susceptible d'amender et d'améliorer les erreurs et les imperfections” contenues dans les décisions rendues par les juridictions inférieures, à savoir les tribunaux et les cours. Elle rappelle à juste titre que le dossier de son client est connu du Conseil d'Etat, qui avait rendu “des décisions favorables”. Aussi, considère-t-elle la dernière décision du 13 décembre 2005 “surprenante et inattendue”, la qualifiant même de “contestable” et d'“injuste”. “Je suis convaincue que votre réaction sera immédiate, car je ne doute pas de votre sens de la justice et de l'équité et votre combat pour l'établissement d'un Etat de droit, dans lequel nos institutions doivent être souveraines et indépendantes”, souligne la représentante du justiciable. Une justice au service du justiciable ? Au cours de l'entrevue qu'elle nous a accordée, Me Baya Kitoune a clairement parlé de “défaut de qualité”, en précisant que la société avec laquelle son client est actuellement en litige ne possède pas d'acte de propriété du terrain loué par M. Bouzerd. Par ailleurs, le patron de ladite société, qui “n'a pas publié son acte de vente”, continue d'agir au nom de Prodeval qui n'existe plus. “La dernière décision est arbitraire et inique, elle est contraire au droit, à la jurisprudence et au bon sens”, note la défense. Cette dernière estime que “les magistrats ont penché vers une partie” et que la décision n'a pas d'application ni d'applicabilité, parce qu'elle demeure non exécutoire. “Qui va exécuter la décision du Conseil d'Etat, qui a été rendue à une entité qui n'existe plus juridiquement ? Une fiction”, se demande Me Kitoune, non sans déplorer l'absence d'une 3e expertise. “La loi nous permet d'obtenir cette expertise. On aurait étendu la mission de l'expert à la recherche de cette entité”, révèle-t-elle. Pour Me Kitoune, au-delà de la décision du 13 décembre dernier, le problème de fond est le suivant : “Est-ce que les magistrats sont comptables des erreurs rendues par des décisions, lorsque la partialité est trop évidente ?” On l'a sûrement compris : l'affaire opposant M. Bouzerd à la SPA Prodeval est grave. Il serait dangereux de se taire, après la reconnaissance de l'erreur commise par les services des Domaines et après une décision donnée par le Conseil d'Etat favorable au jeune industriel. Tout le monde adhère à l'idée que le Conseil d'Etat doit garder son caractère sacré et sa neutralité. Pour cela, il est appelé à vérifier s'il y a eu violation ou non des lois de la République et à “contrôler et censurer les injustices” pouvant provenir des juridictions inférieures. Cela pour dire également que la question reste encore posée sur les raisons du refus d'une 3e expertise dans l'affaire qui nous intéresse, alors que les deux précédentes sont contradictoires. Quelle sera en conséquence la réponse du ministre de la Justice ? Certaines voix pourraient reprocher, à tort ou à raison, à des citoyens comme Lounis Bouzerd de s'adresser à la presse écrite pour se faire entendre, mais ont-ils vraiment le choix, quand leurs voix sont sciemment ou inconsciemment étouffées ? Il n'est, certes, un secret pour personne que la justice algérienne aspire à être plus juste et qu'elle doit mettre fin à certains dysfonctionnements, le président de la République l'a d'ailleurs lui-même déclaré. Aussi, nul n'aimerait voir un jour le Conseil d'Etat transformé en une simple chambre d'enregistrement ni accepter que des brèches soient ouvertes, risquant ainsi de porter atteinte à la crédibilité de ce conseil. Surtout quand la loi algérienne ouvre droit au justiciable à des expertises et à d'autres appels. H. A.