Les détenus, que leurs parents attendaient dès les premières heures de la matinée, n'ont fait aucune déclaration à leur sortie de prison. Les premières libérations de terroristes ont débuté hier au centre de rééducation de Bab-Edjdid, plus connu sous le nom de prison de Serkadji. Des parents de prisonniers en pantalon ou en qamis, pour la plupart des pères de famille ou des frères, accompagnés de voisins et d'amis se sont rassemblés en début d'après-midi aux alentours immédiats du centre. Ils ont vite été rejoints par des gamins et des jeunes du quartier, venus assouvir leur curiosité et, pour certains, exprimer leur soutien aux “ikhoua”. Vers 16 heures, un jeune franchit le seuil de Serkadji, devant l'indifférence des automobilistes. Il est assailli par les journalistes et les photographes. “Je suis de M'sila, j'étais sous mandat de dépôt. Je repars chez moi”, dit-il rapidement, avant d'être arraché par les siens. Un second jeune quitte le pénitentier, gêné par les caméras. Des questions fusent de partout, l'interrogeant sur telle ou telle personne. “Ils vont tous sortir, aujourd'hui et demain”, répond-il. Des voix familières l'appellent d'un véhicule, en le sommant de se dépêcher. L'ex-détenu se libère nerveusement des bras inconnus, embrasse le sol et accourt vers la voiture. La police intervient pour disperser les gens, en leur demandant de se tenir sur le trottoir d'en face. Dans les rangs des familles des terroristes, l'impatience ronge les visages. “Qu'est-ce qu'ils attendent pour les relâcher tous ?” s'écrit un des hommes présents. Ce dernier, la barbe longue et blanche, tachetée de henné, rappelle à qui veut l'entendre que son “grand garçon” de 26 ans vient de passer 3 ans, 7 mois et 9 jours en prison. “Depuis mercredi, je me pointe tous les jours ici… Ils l'ont emprisonné sans le juger”, déclare-t-il mécontent, évitant sciemment d'expliquer les raisons de sa détention. Qu'en pense-t-il de la réconciliation nationale ? “C'est une bonne chose, mais à condition qu'elle soit appliquée pour tout le monde”, réplique-t-il. Il est relayé par un autre père de famille, qui estime que “l'Etat a un rôle à jouer”. “Les jeunes ne vont pas récidiver s'ils ne sont pas provoqués par ceux qui ont appauvri le peuple et provoqué le terrorisme. Il faut les considérer comme des êtres humains, comme les autres”, appuie-t-il, en précisant que son cousin, 40 ans, a déjà fait de la prison en 1993, avant d'être capturé à nouveau en 2003. Une femme, la quarantaine passée, se fraie un chemin et demande à parler aux journalistes. Elle pense que l'amnistie concernera l'ensemble des prisonniers de Serkadji, y compris son fils de 24 ans qui écope d'une peine de 2 ans pour avoir volé un portable. “C'est injuste, mon fils est chômeur, il n'est pas voleur”, affirme-t-elle, une fois informée de la mise en application de la Charte de réconciliation nationale. Un autre citoyen se distingue de la petite foule. “Je suis venu voir la gueule de ceux qui ont tué nos enfants. Je suis pour la réconciliation à condition qu'elle s'applique aussi pour les victimes du terrorisme”, indique-t-il. Selon lui, sa fille âgée 20 ans, a été “déchiquetée”, lors de l'attentat à la bombe en 1995 au boulevard Amirouche. “Je suis déçu par le gouvernement… Et moi, j'ai perdu quoi, une chienne ?” lâche-t-il d'une voix coléreuse. Sa voix est étouffée par celle des jeunes de Bab-Edjdid qui, eux, pensent que la réconciliation est nécessaire, qu'il faut surtout donner “une seconde chance” à chacun. “Il faut que le sang cesse de couler, il faut pardonner et reprendre une vie normale. Nous avons déjà perdu 10 ans de notre vie”, soutient l'un d'eux, en espérant néanmoins que les individus libérés ne récidiveront pas. “S'ils recommencent, ils paieront le prix et seuls cette fois”, ajoute-t-il. Au niveau des gardiens de la prison, l'information relative aux libérations est trop évasive. “Tout ce que je peux vous dire pour l'instant, c'est qu'il y a plus de 200 personnes qui seront libérées. Il s'agit de gens placés sous mandat de dépôt. Comme vous voyez, on les relâche dès qu'on reçoit un fax”, avance le chef, en mettant fin à notre entretien. Hafida Ameyar