Les leaders du parti dissous multiplient, ces derniers jours, les déclarations dans lesquelles ils revendiquent le droit de revenir sur la scène politique. La libération de Ali Benhadj lundi dernier remet au goût du jour la redoutable question du retour de son parti, l'ex-FIS. Le débat avait certes été clos depuis les années 1990 et, depuis, tous les responsables du pays jusqu'au président Bouteflika ont répété que le sort du parti de Benhadj était définitivement scellé. Il n'empêche que les dirigeants islamistes tentent de créer des brèches dans la compréhension de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale pour la résurrection du parti dissous. Ainsi dans l'article (27) qui interdit une activité politique “sous quelque forme que ce soit pour toute personne responsable de l'instrumentalisation de la religion ayant conduit à la tragédie nationale”, il n'est pas précisé la durée de cette interdiction. Farouk Ksentini, interrogé, hier, à ce propos, considère que si cette interdiction n'est pas limitée dans le temps, elle “est donc définitive” et rappelle que la charte constitue un schéma directeur dont l'un des principes est justement d'interdire l'activité aux dirigeants de l'ex-FIS pour éviter la répétition des évènements qui ont plongé l'Algérie dans une crise politique et sécuritaire majeure. Mais si l'on s'en tient aux aspects juridiques, les centaines de terroristes et de militants islamistes libérés ces jours-ci sont normalement réintégrés dans tous leurs droits civiques et politiques, donc du droit d'éligibilité ou d'adhésion à une association ou un parti légal existant. Madani Mezrag, l'ex-“émir” de l'AIS, avait bien saisi la faille en exprimant clairement d'ailleurs son projet d'une éventuelle alliance avec le FLN ou une autre formation aux prochaines échéances électorales. Démenti par le FLN, Mezrag participe ainsi à mettre la pression sur les cercles conservateurs pour susciter l'idée que le prolongement naturel de la libération des détenus serait une réhabilitation politique d'un parti, juridiquement et politiquement décédé. Même constat lorsque Abassi Madani se réveille de son coma oriental pour appeler depuis Al Jazeera à la reconstitution rapide de l'ex-FIS, tentant d'accréditer la thèse d'un projet négocié ou de la “force” de l'ancien parti islamiste sur la scène politique. Rien dans le comportement des islamistes du FIS ne convainc qu'ils ont définitivement abandonné l'idée de revenir sur la scène politique. Chacun a constaté un regain d'islamisme dans la société algérienne : avancée du voile et du qamis, retour aux fameuses “mou'djizate” (miracles) à travers des enregistrements vidéo vendus ouvertement et arrogance des islamistes libérés sous des slogans criés au sortir de la prison. Tous les dirigeants de l'ex-FIS, qui ont eu à intervenir publiquement ces dernières semaines, ont affiché leur ferme intention de reprendre le chemin de la politique, toujours aussi persuadés de la justesse de leur cause parce que non “responsables de la tragédie nationale et non comptables des tueries”, comme l'a déclaré Abdelkader Boukhamkham dans un entretien à L'Expression en août 2005. Dans un raisonnement édifiant sur les objectifs des islamistes, Mezrag croit toujours que “pour réussir son programme, le président Bouteflika a besoin du soutien de la mouvance islamiste qui constitue la majorité de la population algérienne”. C'est apparemment dans ce but que l'activisme islamiste a repris des forces depuis les premières annonces des mesures d'amnistie telles que prévues par la charte ; l'endoctrinement certes, soft et discret, de la société et une hypothétique capacité à aider l'Etat à neutraliser les derniers groupes terroristes post-réconciliation. Entre les désirs des uns et l'adhésion des autres vis-à-vis de la Charte pour la réconciliation nationale, le groupe des djaz'ariste, mené par Anouar Haddam et Ahmed Zaoui, a rejeté la charte de manière claire et définitive. Paradoxalement, il semble les seuls à saisir la portée stratégique et tactique de la démarche de Bouteflika qui, en domestiquant les forces agissantes de l'ancien appareil islamiste, a réussi à leur couper, par le dispositif de la loi, toute tentation de recomposition. Car, faut-il le rappeler, en “liquidant” le FIS de manière symbolique, Rabah Kébir, dirigeant islamiste en Allemagne, ennemi avéré de Haddam, avait appuyé l'action de Bouteflika en adhérant à l'équation qu'un parti islamiste, même remodelé et sous une autre appétition (appellation), est une ligne rouge que le pouvoir s'est imposée et qu'il a imposée. Reste que la récidive de Ali Benhadj après douze ans de prison, les propos de ses camarades qui crient tous à l'injustice dès qu'il est question de leur exclusion de la politique ne laissent présager rien de bon du côté de l'ex-FIS. Les appréhensions sont d'autant plus justifiées que les islamistes s'évertuent à créer des passerelles au sein de l'appareil d'état en s'appuyant sur l'entrisme dans des organisations existantes. Ghania Khelifi