Le général Philippe Rondot, “conseiller pour les opérations spéciales” au sein du ministère français de la Défense et spécialiste de l'Algérie à la DST, vient de quitter son poste à la surprise générale. Alors que l'affaire des moines, où son nom a été cité, est commémorée et que la coopération antiterroriste avec Paris subit les contrecoups du froid politique entre les deux pays, l'homme qui a exfiltré Carlos du Soudan tire sa révérence. L'univers des services secrets est certes fait d'opacité, mais la démission du général Rondot de la Défense et de la DST en France est un événement dans les relations algéro-françaises. Cet expert du monde arabe, polyglotte et spécialiste des “OP Noires” auprès des services secrets français, se retire dans une phase critique des relations algéro-françaises, marquée par les enjeux politiques autour du traité d'amitié, le partenariat antiterroriste entre Alger et Paris et l'élection présidentielle française de 2007. Cette “retraite”, annoncée par plusieurs publications confidentielles, intervient également à la veille de l'affaire des sept moines de Tibhirine durant laquelle le général Rondot a joué un rôle clé qui n'a pas été positif pour tout le monde. En effet, Rondot, qui a su rétablir les liens entre le DRS algérien et la DST française, aboutissant à une aide décisive des Algériens dans le démantèlement des réseaux du GIA à Paris entre 1994 et 1997, avait été envoyé en Algérie pour retracer les pistes menant aux moines enlevés par le GIA. Les contacts entre l'antenne de la DGSE à l'ambassade de France à Alger et un émissaire du GIA avaient grandement perturbé l'opération de traque du groupe de Djamel Zitouni. Selon une enquête menée par l'hebdomadaire l'Express, évoquant la mission du général français lors des faits, “Rondot se rend alors à l'ambassade de France, sur les hauteurs d'Alger, où il rencontre le chef d'antenne de la DGSE, les services secrets français. Ce lieutenant-colonel assure que deux des moines — les plus âgés — ont été relâchés sur la route de Bône. La DGSE a d'ailleurs transmis une note ultraconfidentielle à ce sujet à Jacques Chirac, en plein sommet antiterroriste à Charm Al-Cheikh, en Egypte (…) Dès le début, donc, se détachent deux visions du dossier : l'une avec la DST et les Algériens ; l'autre avec la DGSE et le Quai d'Orsay, qui feront cavalier seul”. Ainsi, l'intervention de Rondot à l'époque n'avait pas été appréciée par ses anciens collègues de la DGSE, lui-même ayant rejoint la DST. Cet épisode qui allait conditionner le sort des moines de par les conflits interservices français et le cafouillage diplomatique entre Juppé, Balladur et Pasqua, avait bouleversé les rapports entre les services secrets algériens et français qui n'étaient déjà pas au beau fixe. C'était sans compter sur les contacts du général Rondot qui, malgré l'hostilité de certains cercles du renseignement français qui ne croyaient pas à une coopération “bénéfique” avec les Algériens, a sollicité les services algériens afin d'aider la DST à traquer les réseaux terroristes du GIA, puis du GSPC en territoires français avec la réussite probante que l'on sait. Le général Rondot est, pour les spécialistes du renseignement, l'homme qui a fait libérer les otages français au Liban, en 1986, ainsi que Chesnot Malbrunot, récemment en Irak, qui a exfiltré Carlos Ramirez Sanchez du Soudan, qui a établi des liens avec le Palestinien Abou Nidal ou traqué les Libyens dans l'affaire du DC10 d'UTA. Son départ va-t-il pénaliser Paris ? Pour les observateurs, personne n'a le gabarit et les connaissances sur l'Algérie pour pouvoir le suppléer. On murmure également que ce sont les “yeux et les oreilles de Chirac” sur tout ce qui se passe à Alger qui s'éclipsent. Sarkozy le craint, tout comme de Villepin qui le voit comme un “barbouze”. Son départ marque probablement la fin d'une certaine vision des rapports entre l'Algérie et la France. Mounir B.