Pendant la décennie noire, et par instinct de survie, les citoyens fuyaient le danger imminent qu'était le terrorisme, souvent au détriment de leur santé. “La décennie noire et les réformes économiques ont eu pour effet entre autres : l'augmentation du taux de tuberculeux en Algérie. Ces deux facteurs ont en effet conduit à la diminution des crédits alloués au secteur de la santé”, déclare le Pr Chaulet, un des pionniers de la lutte antituberculeuse en Algérie. Cet expert algérien auprès de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) s'inquiète de la recrudescence de la tuberculose et sans se montrer encore alarmiste, il tire tout de même la sonnette d'alarme. Intervenant lors de la manifestation organisée hier par le ministère de la santé, au siège du CPVA à Alger, à l'occasion de la journée mondiale de la santé, le Pr Chaulet a tenu à relativiser les données épidémiologiques : “Au lancement du premier plan national de lutte contre la tuberculose en 1966, nous avions une incidence très élevée, car elle avoisinait les 200 cas pour 100 000 habitants. Nous avons enregistré de bons résultats puisque le taux d'incidence est tombé à 50 cas pour 100 000 habitants. Nous remarquons que depuis 1988, ce taux connaît une légère recrudescence : il atteint aujourd'hui les 60 cas pour 100 000 habitants”, précise-t-il. Les raisons invoquées quant à cette situation sont multiples, les unes incombant aux malades non sérieux, les autres dues à la diminution des budgets alloués au secteur de la santé. Les experts estiment que la décennie noire avait une incidence néfaste sur les efforts fournis en matière de lutte antituberculeuse. Des malades fuyant le terrorisme cessent de poursuivre leur traitement, mettant ainsi leur vie en danger, sans compter le nombre de citoyens qu'ils pourraient contaminer. Maladie sévissant dans les poches de pauvreté, la tuberculose s'est développée durant cette période parmi les populations déplacées car fuyant le terrorisme. Les malades qui se soignaient ont ainsi arrêté de suivre leur traitement et vivant dans des bidonvilles situés aux abords des grandes villes, ils ont sûrement contaminé leurs proches. Pis, lorsqu'un tuberculeux cesse son traitement en partie, il risque de développer des bacilles de Koch résistants, rendant ainsi la prise en charge longue et surtout onéreuse. “Prendre en charge un tuberculeux revient à 2 millions de dinars, mais lorsque le patient développe une pathologie résistante, la facture double facilement. C'est pourquoi il faut suivre les malades jusqu'à la guérison”, recommande le Dr Ouahdi, directeur de la prévention au ministère de la santé. Le même responsable confirme la recrudescence de la maladie, chiffres à l'appui : “nous avons recensé 15 000 nouveaux cas en Algérie en 2003 et pour l'année 2004 nous avons enregistré 20 000 cas. Cette augmentation est due sûrement à la non-déclaration des malades lors de la décennie noire. En effet, les cas qui devaient être diagnostiqués à temps pendant la période du terrorisme, le sont aujourd'hui, augmentant ainsi les statistiques.” Longtemps considérés comme référence, par l'OMS, le schéma thérapeutique et la politique nationale de lutte contre la tuberculose ont réussi à faire baisser de manière significative le nombre de malades en Algérie. “Tout ce qui excelle connaît tôt ou tard des difficultés et c'est le cas aujourd'hui pour le plan national de lutte contre la tuberculose. Les bons résultats atteints ont eu pour effet une baisse de la vigilance, il faut juste remettre la machine en route. Pour cela, il faudra mobiliser 5% du PIB et 15% des budgets gouvernementaux au secteur de la santé, ensuite il faut répartir les enveloppes selon les priorités. Or, pour le moment la santé est loin de recevoir 5% du PIB”, se plaint le Pr Chaulet. Justement pour redresser la barre, un arrêté officiel portant création des unités de contrôle de la tuberculose et des maladies respiratoires (UCTMR) a été promulgué en début d'année et ces structures ont commencé à activer. Pour réussir la nouvelle mission, le personnel est soit formé ou du moins recyclé, comme c'est le cas des microscopistes dont le travail consiste à traquer le bacille de Koch. Evidemment, les praticiens en charge de ce dossier tiennent surtout à réclamer des moyens pour mener à bien cette mission. Certes le slogan de l'OMS : “Vers un monde sans tuberculose”, est encore loin à atteindre, mais diminuer les statistiques, cela est possible car la preuve en a été faite en Algérie voilà juste quelques années. Saïd Ibrahim