Dans son envolée vers le palais de l'Elysée, le Premier ministre français, Dominique de Villepin, a pris du plomb dans l'aile. Pressé d'arriver, il a brûlé ses cartes et peut désormais faire le deuil de ses ambitions affirmées lorsque le président Jacques Chirac avait été hospitalisé à l'automne dernier. L'admirateur de Napoléon et du général de Gaulle, que Bernadette Chirac préfère appeler Néron, a révélé ses carences politiques, lui qui ne s'est jamais frotté au suffrage universel. Le numéro d'équilibriste auquel s'est livré Chirac pour le sauver ne lui sera finalement pas d'une grande utilité. Et qui est le vainqueur ? Sans compter la gauche, c'est Nicolas Sarkozy, son rival dans la course vers l'Elysée. En promulguant la loi instituant le contrat première embauche, tout en la gelant de fait, le chef de l'Etat croit avoir sauvé les apparences. En réalité, le “gel” comptera plus que la promulgation puisque la tâche de la modification a été confiée à l'UMP de Nicolas Sarkozy qui jubile à l'idée d'organiser un bel enterrement à la mesure phare de son adversaire. Ses partisans pavoisent déjà. De Villepin ne voulait ni suspension, ni dénaturation, ni retrait face à la montée de la fronde. Il a eu tout. “La dénaturation est totale, la suspension acquise et le retrait subliminal”, chantent-ils à l'unisson, ajoutant que “Chirac a été sur la ligne de Sarkozy”. Patrick Dévédjian est un des plus fidèles lieutenants de Sarkozy. Ecoutons-le : “C'est terminé, c'est la fin du CPE ! Il va y avoir enfin un vrai débat parlementaire et un vrai dialogue avec les partenaires sociaux. Cela se terminera par une abrogation et, sans doute, un texte consensuel qui traitera le fond du problème, le chômage des jeunes.” Pour Pierre Méhaignerie, secrétaire général de l'UMP, le chef de l'Etat était trop absorbé par son “louable souci de n'humilier personne. Il faut le dire franchement : le CPE est virtuellement mort. Les entreprises, elles, l'ont bien compris”. Au sein du parti au pouvoir, c'est un chiraquien, Bernard Acoyer, qui a été désigné pour mener les discussions avec les partenaires sociaux. Encore un souci d'équilibre et de collégialité pour ménager les susceptibilités. Mais Sarkozy a son idée sur la collégialité. Dès la décision connue, il a personnellement appelé tous les dirigeants syndicaux pour montrer que c'est bien lui qui était à la manœuvre. Les syndicats sont bien disposés à négocier mais pas pour accorder à l'UMP ce qu'ils ont refusé à de Villepin. Et ce n'est pas Sarkozy qui les découragera. Lundi soir, il devait réunir la commission exécutive du parti pour fixer la feuille de route. Ses membres ont reçu, dès samedi, une convocation via des SMS sur leurs téléphones portables. On aura compris pourquoi Sarkozy a salué la “sagesse” de Chirac, qui fut son mentor en politique. Après 40 ans de vie politique entamée à la veille de mai 68 et faite de crises surmontées, Chirac semble avoir raté piteusement son dernier coup de maître. Après avoir brûlé Giscard d'Estaing, Edouard Balladur, Charles Pasqua, Philippe Séguin, c'est son protégé qui est emporté. Mais s'inclinera-t-il facilement face aux assauts de Sarkozy sur l'Elysée ? En 1981, il n'avait pas hésité à jouer contre son camp : pour Mitterrand et contre Giscard. La crise du CPE a déjà ressoudé la gauche... Yacine KENZY