Un président de la République qui annule tous ses déplacements, une majorité politique fissurée et qui tremble déjà pour les rendez-vous électoraux de l'année prochaine, c'est le résultat d'une journée de manifestations en France contre le contrat première embauche imaginé par le Premier ministre afin de faire face aux chômage des jeunes. Trois millions de personnes ont défilé dans toutes les villes. Du jamais vu depuis plus de 20 ans. Et aux Anglo-Saxons de se gausser de ce pays dont ils n'ont pas oublié la défection lorsqu'il a fallu envahir l'Irak en 2003. La presse américaine n'a pas hésité à évoquer la place Tien-an-men qui symbolise la sanglante répression du Printemps chinois en 1989, alors que les autorités britanniques ont carrément appelé leurs ressortissants à ne pas à se rendre à Paris où sévissent des hordes de casseurs. À croire que la France est en guerre. Ce n'est peut-être pas si faux d'ailleurs. Sans l'impitoyable lutte que se livrent de Villepin et son ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy pour obtenir l'onction de leur camp dans la perspective de l'élection présidentielle de 2007, la France aurait fait l'économie de cette crise. Parti en campagne dès le début du second mandat de Chirac en 2002, Sarkozy n'a eu de cesse de fustiger ce qu'il appelle l'immobilisme de son pays surtout en matière sociale et économique. Et puis arriva l'inattendu de Villepin dont l'étoile s'est mise brutalement à briller quand Chirac fut hospitalisé à l'automne. Sarkozy se découvrit donc un adversaire de taille alors qu'il s'était employé à éviter une nouvelle candidature de Chirac. Tout en défendant le modèle social français, de Villepin voulait faire la démonstration que son rival n'avait pas le monopole des réformes. C'est dans ce cadre qu'il faut inscrire le CPE et le forcing parlementaire que le Premier ministre a exercé pour le faire adopter, malgré les mises en garde de certains ministres. Ravi de la riposte syndicale, Sarkozy guettait la reculade de de Villepin pour en récolter les bénéfices politiques. Rien n'y fit et c'est toute la majorité qui s'est trouvée dans la tourmente. Sarkozy ne pouvait raisonnablement se démarquer sans prendre le risque d'être accusé par ses compagnons de route de fuir le navire. Une position qui heurte ses ambitions. Il se livre alors à des contorsions dont il est encore difficile d'imaginer les conséquences. La solidarité exprimée du bout des lèvres ne peut pas aller jusqu'au “suicide collectif”, résume un de ses proches, le député Pierre Lelouche. Des rats vont donc quitter le navire. En tout cas, de Villepin est apparu inébranlable et refuse la République des “ultimatums” lancés par les syndicats. Selon sa conception, la politique ne peut être sanctionnée que par les urnes au moment où les mandats sont remis en jeu devant les citoyens. La partie ressemble plus que jamais à un quitte ou double même s'il a esquissé quelques gestes d'apaisement : une marche arrière sera désastreuse pour lui et pour l'ensemble de la majorité. Il est donc contraint de poursuivre sur une ligne aux bénéfices incertains auprès d'un électorat de droite qui lui saura gré d'avoir résisté aux syndicats et à toute la gauche. C'est un peu la quadrature du cercle. À moins que le président Chirac, interpellé solennellement par les syndicats, n'intervienne. Jusque-là, il a soutenu son Premier ministre. Face à la mobilisation, qui a culminé mardi, il peut décider de ne pas promulguer la loi adoptée par l'Assemblée nationale. Le Conseil constitutionnel, qui se prononce aujourd'hui, peut être un secours. Dans ce cas, de Villepin a des chances d'apparaître comme un vainqueur dans son duel face à Sarkozy, mais la suite s'annonce très difficile pour la droite. À gauche, on attaque son “orgueil” et ses “ambitions personnelles” élevés par-dessus les intérêts nationaux. Quelle que soit l'issue de la crise, la droite va laisser des plumes. K. Y.