Le forcing marocain à travers Paris et Madrid n'est qu'une tentative de faire pression sur l'Algérie afin qu'elle abandonne une opération qu'elle avait elle-même initiée, et de saborder en même temps tout le travail de lobbying entrepris par Alger en Afrique et dans les pays du Sahel. Alors qu'une conférence ministérielle sur les problèmes migratoires se tiendra à Tripoli les 5 et 6 juin prochain sous les auspices de l'Union africaine, la France et l'Espagne tentent de faire rallier Alger à la prochaine rencontre qui aura lieu à Rabat, et qui traitera de la même question. Lors d'un point de presse tenu hier à Paris, le porte-parole du Quai d'Orsay a indiqué que “l'Algérie a été invitée à ce titre, et nous lui avons fait part de notre souhait qu'elle puisse y être représentée”. Jean-Baptiste Mattéi a ajouté que “cette conférence doit conduire à mettre en place un partenariat sur les questions de migration entre les pays placés sur les routes migratoires de l'Afrique centrale et de l'Ouest vers l'Europe”. Mardi dernier, des sources diplomatiques à Madrid ont fait état de la volonté du secrétaire d'Etat espagnol aux Affaires étrangères, Bernardino Léon, de demander à l'Algérie de revenir sur son refus de participer à la prochaine conférence UE-Afrique de Rabat sur l'immigration. M. Léon, qui est arrivé hier dans l'après-midi à Alger, devait mettre à profit cette visite pour évoquer cette question avec son homologue Mohamed Bedjaoui et avec le Chef du gouvernement Ahmed Ouyahia. Alger, qui ne comprend toujours pas pourquoi Paris et Madrid “souhaitent” la présence d'une délégation algérienne à la réunion de Rabat, s'interroge si cette nouvelle agitation de la diplomatie marocaine ne cacherait pas, en fait, “la panique” du royaume chérifien d'aller vers un échec, d'autant que le rendez-vous libyen apparaît d'ores et déjà sous de bons auspices. Il faut savoir que la conférence, qui doit se dérouler dans la capitale marocaine les 10 et 11 juillet prochain, est une initiative promue par l'Espagne, le Maroc et la France à la suite de la sanglante crise migratoire dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, prises d'assaut à l'automne 2005 par des milliers de candidats africains à l'émigration. Des incidents frontaliers meurtriers s'en étaient suivis, précédant la dispersion dans le désert de milliers d'Africains puis leur expulsion. Paris et Madrid craignent que la tenue de deux réunions concurrentes fasse perdre de la substance à celle de Rabat, surtout si d'autres pays de l'UA — le Maroc s'est exclu de lui-même — ont donné leur accord pour la réunion de Tripoli. Pour l'Algérie, la réponse a déjà été donnée à l'issue de la réunion des experts de l'Union africaine qui a eu lieu les 3 et 4 avril derniers. “Nous avons dit que la réunion de Rabat ne nous concernait pas”, ont indiqué, hier, des sources diplomatiques à Alger. Et la question revient lancinante. Pourquoi l'Espagne tient à la réunion de Rabat, alors que celle-ci ne la concerne pas ? Autrement dit, plus de 70% de l'immigration qui touche la péninsule ibérique viennent des pays d'Amérique latine, et seul 1% provient de l'Afrique, y compris le Maroc. Pour la France, la question ne se pose même pas. Paris a toujours, pour des raisons stratégiques et de lutte d'influence dans les pays du Maghreb, soutenu le royaume. Sur le dossier du Sahara occidental, la position de la France continue d'influer négativement non seulement sur la mise en application des résolutions onusiennes, quant à l'organisation d'un référendum d'autodétermination dans cette ancienne colonie espagnole, mais aussi sur la qualité des relations intermaghrébines. Dans ce contexte, la tension, née récemment entre Alger et Paris, avait aussi comme toile de fond le parti pris français en faveur de la marocanité du Sahara occidental, au-delà de la question des visas et de la réhabilitation dans l'Hexagone du très controversé article 4 de la loi du 23 février. Il apparaît ainsi clairement que le forcing marocain à travers Paris et Madrid n'est qu'une tentative de faire pression sur l'Algérie afin qu'elle abandonne une opération qu'elle avait elle-même initiée et de saborder en même temps tout le travail de lobbying entrepris par Alger en Afrique et dans les pays du Sahel. Cependant, si l'UE par le biais de son ambassadeur à Alger, Lucio Guerato, considère qu'une libre circulation des personnes entre l'Afrique et l'Europe “nécessite des conditions économiques comparables” entre les deux continents, ce qui est loin d'être réalisable dans le contexte actuel, l'Algérie insiste sur l'aide au développement dans la rive sud qui, selon elle, doit être la matrice de toute action visant à limiter le phénomène migratoire. Salim Tamani