Le tribunal où se déroulait, hier, le procès des émeutiers a été quadrillé dès les premières heures de la matinée. L'enceinte donnait l'image d'un camp retranché dont tous les accès ont été pratiquement filtrés par les policiers et les éléments des brigades anti-émeutes. La foule amassée aux abords immédiats du tribunal, dans la rue perpendiculaire à la route de Tlemcen, a commencé à donner des signes d'impatience aux environs de 14h30 comme sentant l'annonce du verdict imminent. L'optimisme du matin se diluait, au fil des heures et des réquisitoires, pour se transformer indéniablement en une boule au ventre chez les nombreuses mères de détenus. À l'annonce du verdict, où aucune remise en liberté n'a été prononcée à l'encontre des 49 personnes arrêtées, quatre jours plus tôt, après les émeutes qu'ont connues Maghnia, les premiers mouvements de foule ont été enregistrés. Sitôt les prisonniers évacués du tribunal vers la maison d'arrêt de Tlemcen, des jeunes ont commencé à bombarder à coup de pierres et de verres chapardés dans les cafés avoisinants les policiers en faction devant les barrières de séparation entourant le périmètre sécurisé du tribunal. Dans tous les quartiers de la ville, les boutiques ont immédiatement baissé rideau donnant le coup d'envoi à une panique générale relayée par les pleurs et les vociférations des parents des prévenus et une atmosphère pesante poussait du coude la relative accalmie du matin. À 15h30, un face-à-face muet s'installe entre les forces anti-émeutes, sur le pied de guerre, et une foule de plus en plus compacte. En majorité des gosses et des adolescents, les deux forces en présence s'observent et se jaugent mutuellement. Une pierre fuse, s'écrase contre une barrière. Un policier recule pour éviter trois autres projectiles qui ricochent sur le bitume. Les manifestants courent sans que les policiers, toujours en faction, ne bronchent. Des voix disent que des poteaux d'indication ont été détruits. Une vieille femme franchit le cordon de séparation et s'en prend verbalement à l'Etat qui a condamné son fils. La population, inquiète à l'approche d'une nuit qu'on prédit chaude, est dans l'expectative. Les rumeurs les plus folles ont commencé à circuler sur la prétendue présence de bandes d'émeutiers, se trouvant dans les quartiers périphériques de la ville, prêts à en découdre avec les forces de l'ordre. Le souvenir du dernier acte de vandalisme lié aux émeutes est encore vivace. La dernière nuit des troubles a vu le CEM Mohamed-Laïd-Khalifa, dans le quartier d'El-Matmar, pris d'assaut par une vingtaine de jeunes qui ont défoncé la porte d'entrée pour s'en prendre ensuite au bloc administratif du collège. Des vitres voleront en éclats, des armoires éventrées et des livres scolaires brûlés. Les deux agents de sécurité donneront l'alerte, ce qui évitera le pire à l'établissement scolaire. Pourtant, hier, aucun signe de fébrilité ne trahissait la tenue du procès des 49 accusés. Maghnia, une ville qui vaque à ses affaires, plongée dans la moiteur d'une journée qui s'annonce anodine, n'était-ce la présence des différents services de sécurité aux abords du tribunal mitoyen au marché couvert, en plein centre-ville. La cour, quadrillée dès les premières heures du matin, donnait l'image d'un camp retranché dont tous les accès ont été pratiquement condamnés par les policiers et les éléments des brigades anti-émeutes, les entrées étant soigneusement filtrées. Hormis les avocats et les correspondants de presse, aucune présence n'était tolérée aux abords immédiats de l'édifice. Les rues Larbi-Ben-M'hidi, Ibn-Rochd fermées à la circulation, seule la route de Tlemcen offrait la scène d'une fourmilière ne prêtant aucune oreille aux rumeurs bruissantes venues des familles des prévenus, dans l'attente du verdict. Les spéculations vont bon train aussi vite que les suppositions les plus optimistes. Des mères sont assises à même le trottoir, une main en guise de visière pour se protéger du soleil du début de l'après-midi. Des hommes, des jeunes attendent impatients et anxieux la fin d'un procès qui semble s'allonger démesurément. “Mon frère n'a rien fait, il a été embarqué alors qu'il allait à son boulot”, nous dira, dépité, Mahmoud, les larmes aux yeux. Cette mère de famille prend Dieu à témoin de l'innocence de son fils, et toutes attendent la clémence de la justice. Maghnia, de son côté, semble déjà oublier la journée noire de début de semaine qui a vu sa quiétude partir en fumée, accompagnant les différents édifices publics voués à la rage destructrice des manifestants. Cependant, rien ne semblait prédisposer la ville à vivre de tels évènements, malgré les signes ostentatoires d'un mécontentement sélectif. Si les faits sont connus aujourd'hui, il n'en demeure pas moins que les véritables “instigateurs” de ces émeutes “restent toujours à l'abri de poursuites judiciaires”. C'est ce qui transpire de l'opinion publique maghnaouie qui reste persuadée que ceux qui ont comparu, hier, ne sont que des jeunes arrêtés dans la tourmente des manifestations. Ce sentiment sera l'essence de la plaidoirie des avocats des prévenus qui mettront le doigt sur l'absence des véritables meneurs de cette journée en enfer. Tout a commencé, samedi dernier, lorsqu'une cinquantaine de contestataires s'est rassemblée devant le siège de la daïra pour exposer leurs préoccupations concernant les dispositions prises par le wali de Tlemcen et pour demander la restitution de leurs voitures et camions saisis. La suite a pour théâtre la sortie Est de la ville, en barricadant la RN25 avec des pneus enflammés. Le feu de la révolte s'attisera et c'est à 12h, avec la sortie des classes, que la situation s'embrase recouvrant toute la ville. Les édifices publics seront vandalisés et plus de 300 policiers seront appelés en renfort. Les troubles se poursuivront tard dans la nuit pour s'apaiser le lendemain. Dimanche, vers les coups de 17h, tous les commerçants de la ville baissent rideau, et le feu des tensions de se rallumer. Les deux derniers jours seront vécus dans un calme relativement précaire, caractérisé par la présence notable des uniformes. Avec le verdict d'hier, les peurs les plus primaires ont recommencé à refluer à la surface et l'on vit dans l'attente angoissante d'événements que tout le monde espère ne pas voir. Des peines de 1 à 4 ans de prison ferme pour les émeutiers Après avoir entendu les accusés, par vague de cinq, les réquisitoires du procureur de la République ainsi que les plaidoiries de la défense, le juge, après délibérations, a condamné l'ensemble des prévenus à des peines de prison ferme pour troubles et atteinte à l'ordre public, incendie volontaire et attroupement armé entre autres. Les 49 accusés ont écopé des peines allant d'une à quatre années de prison ferme. Six mineurs ont été également condamnés. Deux d'entre eux à 5 mois et les quatre autres à trois mois de prison ferme. Les trois prévenus, accusés d'avoir brûlé l'emblème national, ont écopé respectivement de 4 ans et de 4 000 Da d'amende pour B. M., et de 3 ans et de 6 000 Da d'amende pour B. M. et Z. A. Quant aux trois accusés qui sont toujours en fuite, M. M., B. B. S. et O. D. J., ils ont été condamnés par contumace. Trois autres accusés ont écopé de 18 mois de prison ferme et de 4 000 Da d'amende. Le reste des accusés a été condamné à 1 an de prison ferme et à 4 000 Da d'amende chacun. La partie civile a demandé 700 millions de centimes à titre de dommages et intérêts, la Sonelgaz, quant à elle, a réclamé 15 millions, et l'administration des impôts et la direction de l'urbanisme ont exigé 177 millions de centimes. S. O.