Les fonds, jusque-là déboursés pour la réhabilitation des ksour de la wilaya de Béchar, n'ont visiblement pas suffi à faire revivre ces citadelles du désert : Kenadsa, Beni-Abbès, Taghit, Moughel. Outre une qualités des travaux de restauration souvent dénoncée, le vide juridique concernant l'identification du propriétaire reste posé. À qui appartiendront ces ksour ? À l'Etat qui a pris en charge financièrement cette opération ou aux propriétaires ? Pourtant, c'est afin d'attirer les touristes que l'Etat a investi dans ces monuments historiques, classés patrimoine national. Entamés en 2001, les travaux de réhabilitation des ksour de la wilaya de Béchar ne finissent pas de s'étaler dans le temps. Si bien que les parties restaurées connaissent déjà des dégradations de différentes natures : vols, absence de gardiennage, fissures lézardant des murs récemment érigés… Cette situation est notamment visible dans les ksour de Kenadsa et de Beni-Abbès. Et ce ne sont pas les 180 millions de DA (chiffre avancé par Benouaret Mabrouk, directeur de l'urbanisme et de la construction de la wilaya de Béchar), puisés dans le fonds spécial pour le développement des régions du Sud, qui suffiront à insuffler une vie à ces forteresses faites de terre, superbes défis au temps et au climat austère. “Nous attendons une deuxième tranche”, avoue le directeur de la DUC, organisme en charge de la restauration. Plusieurs fois centenaires, les ksour, ceux qu'un désert insatiable n'a pas encore engloutis, sont la parfaite illustration du souci de l'esthétique exprimé dans un environnement naturel et hostile. Atouts que l'Etat souhaite mettre à profit afin de faire ressusciter la vocation touristique de ces régions sud-ouest du pays, depuis quelques années désertées aussi bien par les touristes étrangers en quête de dépaysement que par les nationaux qui viennent pour découvrir la plus grande région du pays. Kenadsa, la double histoire À l'entrée de cette petite ville, à 20 km du chef-lieu de wilaya, deux témoins de deux époques, l'une récente, celle de la colonisation, et l'autre beaucoup plus lointaine, qui remonte au XVIe siècle. Ce qui accueille le visiteur dès l'entrée, c'est un immense monticule crasseux qui se dresse telle une dune noire de schiste, à un jet de pierre des carcasses des lavoirs, à présent désaffectés, vestiges de la mine de charbon. Les Kenadsis, comme reconnaissants à leurs aînés, ont érigé une statue représentant un mineur poussant un chariot rempli de la roche fossile. Kenadsa n'est pas près d'oublier sa mine bien que le charbon ait été détrôné par un autre fossile, le pétrole. Car les entrailles noires de cette terre ont vu la naissance de l'un des premiers mouvements syndicaux de l'Algérie en lutte. “Nous avons connu le vin avant le lait”, terrible aveu d'un mineur, aujourd'hui décédé. Mais bien avant les gueules noires, Kenadsa était un centre religieux par la grâce de Sidi M'hamed Bel Bouziane, saint patron de la ville, né au XVIIe siècle. Le livre d'or tenu à la main, Yamane Bachir, descendant du cheikh M'hamed Bel Bouziane, et en charge de la zaouïa, reçoit les visiteurs. À défaut d'apporter sa propre opinion sur la qualité des travaux de restauration du ksar de ses aïeux, il laisse parler les autres, ceux qui ont émargé dans le livre d'or de la zaouïa ziania : “La restauration est en soi une excellente chose. Encore faut-il respecter l'architecture et les matériaux d'origine.” Ces quelques lignes, signées par d'anonymes voyageurs, rejoignent l'idée sur ce que l'on fait ici. “La construction avec l'argile demande du temps. Il faut que la terre, mélangée à de la chaux ait le temps de fermenter. C'est cela qui lui permet de tenir des siècles durant. Mais avec cette restauration, l'entrepreneur se doit de respecter un certain délai dans l'exécution des travaux. La rapidité n'a jamais rien fait de bon. Voyez ces fissures sur ces murs à peine refaits…” Et pour montrer combien l'ancien peut se révéler plus solide que le neuf, le maître des lieux montre le minaret de l'ancienne mosquée, dont la construction remonte à 1735. Haut de 26 mètres et comportant 101 marches, cet élément architectural ne présente pas la moindre fissure. Comme le montrent également ces pans de murs d'argile et de pierres encore intacts, malgré les siècles et, “laissés en l'état en guise de témoins, mesurés par ce cadran solaire de marbre posé au centre de la cour de la zaouïa”. Un “riadh” de toute beauté qui risque la déshérence Le riadh, superbe palais, était la résidence du cheikh de la zaouïa Ziania. Donnant sur la palmeraie, le riadh est constitué d'innombrables salles spacieuses rivalisant de raffinement. Les murs et les toits de la salle du cheikh, la pièce de réception, celle des nouveaux mariés et bien d'autres encore, sont recouverts d'entrelacs aux vives couleurs et de rosaces ciselées dans la blancheur du plâtre. À cela, il faudra ajouter les portes de l'époque également sculptées. Comme cette inscription, partout présente, “El Afia, El Baqya”, devise de la Ziania, inscrite comme pour rappeler que ce palais, malgré son raffinement, est d'abord voué au mysticisme. Le chargé de la subdivision de la DUC de Kenadsa affirme que “les travaux ont été exécutés en respectant l'architecture et les matériaux locaux. La tâche a été confiée à des artisans de la région.” Car ici, le souci est double et la tâche délicate : parvenir à allier la solidité de la bâtisse à l'élégance de l'art. Les travaux de restauration ont touché essentiellement la toiture faite de stipes de palmier et de roseaux, les marches en pierres, le parterre en dallages modernes et surtout les remparts ceinturant le ksar. Mais une fois ce voyage effectué à travers les siècles terminé, se pose une question : que va-t-on faire de ce patrimoine ? Reviendra-t-il aux innombrables héritiers de Sidi M'hamed Belbouziane ou à l'Etat qui l'a classé patrimoine national ? “Un gîte pour touristes”, répond Bendehane Lahcène, coordonnateur du projet “La route des ksour” de la wilaya de Béchar. Cette option ne semble pas évidente si l'on croit “le vide juridique existant encore” et dont on fait état à la DUC même si l'on avance que “classés patrimoine national, ces ksour seront la propriété de l'Etat”. Beni-Abbès, l'oasis par excellence La thèse selon laquelle les sciences de la géographie seraient nées de la description par les premiers voyageurs des oasis trouve à Beni-Abbès sa justification. Lové au pied des dunes du grand erg occidental, en bordure du hamada du Gui, sur la rive de l'Oued Saoura, l'emplacement de l'oasis de Beni-Abbès est unique au monde. C'est cette particularité qui a présidé au choix de Beni-Abbès pour abriter un centre de recherches scientifiques sahariennes, de renommée mondiale, il y a si peu. Et la situation du ksar est également particulière. Afin de protéger la population des razzias des nomades, Sidi M'hamed Benabdelsalem, choisit, au XVe siècle, le cœur ombragé de la palmeraie. Et ce sont les canons de l'armée française, en 1957, qui ont délogé les Abbassis de leur ksar. Depuis, la ruine totale. Jusqu'en 2002, début de sa restauration. Ces travaux ont commencé par l'élargissement de la piste qui y mène, reconstruction des maisons, de la mosquée, de la zaouïa El-Kerzazia, Dar el-Kaïd… et l'électrification et l'adduction de l'eau potable (choses inexistantes auparavant). “Il aurait été logique, qu'après avoir dépensé tant d'argent, de confier le gardiennage à des jeunes gens qui sont à la recherche d'un emploi…” Aucun prétexte ne saurait tenir la route devant le bon sens de ce jeune chômeur. Parce qu'ici, le même constat qu'à Kenadsa s'impose : la restauration non encore achevée et la dégradation étale partout ses tentacules : murs lézardés, vols de câbles électriques, des lavabos, des portes, des fenêtres… Même la mosquée où repose Sidi M'hamed Benabdelsalem s'est effondrée durant… sa restauration ! Et si un jour les travaux prenaient fin, quel serait l'usage réservé au vieux ksar de Beni-Abbès ? Nul ne le sait. Pas même les propriétaires des maisons qui se posent encore la question. Reste “El Afia El Baqya”, gardienne des mémoires. S. B.