Les ingrédients tiers-mondistes — distribution de drapeaux et de confettis, transports de population vers les points de passage du cortège, etc. — de l'accueil réservé à Chirac ont ajouté à la popularité du président français. Les slogans restent éloquents sur le “rêve français” des jeunes Algériens : “des visas” . Le mythe “babor l'Australie” est intact. Et Chirac l'avait ravivé lors de sa première visite à Bab El-Oued au lendemain des meurtrières inondations du 10 novembre 2001. Discerner entre ce qu'il y a de mitonné et de spontané dans cet enthousiasme algérois au passage du cortège officiel et laisser la communication officielle défendre l'idée artificieuse que c'est “l'hôte de Bouteflika” plutôt que Chirac qui fut à ce point célébré. Quoi qu'il en soit, la bienvenue exprimée au président français est à inscrire au crédit d'un peuple qui a dépassé la rancœur jusqu'ici entretenue par les milieux conservateurs et chauvins qui, au demeurant, ne manqueront pas d'essayer de se retourner les dividendes politiques de cet enthousiasme. Mais l'espérance de retombées fructueuses et l'agrément des positions actuelles de la France, face à la menace de guerre en Irak, n'étaient pas les seuls sentiments à précéder l'arrivée de Chirac à Alger. Car, et puisque l'intérêt de Chirac pour l'Algérie prend une allure messianique, d'autres préoccupations, des inquiétudes celles-là, comptent se manifester à l'attention de l'illustre invité. Celles-ci ont eu droit à l'envers de la médaille des retrouvailles : le traitement de rigueur depuis toujours réservé à tout ce qui ne va pas dans le sens de la célébration du régime, régime qui ne rate aucune occasion, quelle qu'elle soit, pour la transformer en opportunité de légitimation forcée. Les arrestations et bastonnades qui ont jalonné le défilé valent, par leur sens, au moins autant que les ovations qui ont escorté le vénérable cortège. Et à Chirac d'endosser sa part de discrétion sur les questions de la répression des revendications citoyennes dont on a réprimé l'expression sur son passage. Au moment de feindre la communion franco-algérienne, on se rappelle qu'il n'a été obligé d'arrêter personne pour recevoir Bouteflika, il y a deux ans et demi à Paris. La refondation des relations franco-algériennes, si elles se font sur le dos des aspirations algériennes à la promotion citoyenne et à un Etat de droit, aurait un relent paternaliste. Et comme le côté cour est toujours plus aisément présenté que le côté jardin, cette visite risque de révéler que Chirac ne serait qu'un illusionniste mystifiant des jeunes déjà passablement manipulés par toutes sortes de charlatans locaux, un joyeux livreur de visas. Ou alors un simple ami de Bouteflika. M. H.